Franco Fagioli couronné à Versailles par Haendel et ses arias italiennes
Franco Fagioli entre sur l'air "Presti omai" de Jules César, en chemise blanche, veste bleu nuit scintillante et avec l'assurance opiniâtre d'un grave poîtriné. Mais le contre-ténor quitte ce registre dès la seconde note, entraînant des regrets parmi l'auditoire qui aurait souhaité entendre plus souvent durant le concert ces notes basses qu'il maîtrise fort bien. D'autant que la voix peine d'abord à s'envoler après ce changement soudain. Mais le velouté vocal reprend ses droits dès la fin de l'air et l'immense souffle continue toujours de chanter après que les instruments se soient tus. L'artiste sait également trouver son assise vocale grâce à son port de noble danseur, le pied gauche avancé, l'autre presque en équerre, dessinant une légère torsion du buste, parachevée par les épaules ouvertes. Nulle part ailleurs qu'à Versailles, Fagioli ne saurait mieux offrir cette belle illustration de la sprezzatura : l'art du courtisan (qui connut ses heures de gloire dans ces lieux du Château de Versailles) qui consiste à donner une apparente simplicité, une évidence aux gestes les plus travaillés. Le son résonne ainsi naturellement avec l'apparente facilité qui sied à ce port délicat, mais l’œil exercé repère les difficiles opérations mises en branle par le corps en action : un soutien abdominal fortement appuyé, une tension des muscles dorsaux et cervicaux, mais surtout des mandibules d'acier exacerbées jusqu'aux pommettes (pour ancrer le son et déployer ses harmoniques).
Les airs alternent avec des pièces instrumentales du maître germano-italiano-britannique : sinfonie, sonate et passacaille permettant au chanteur de se reposer et au public d'apprécier la grande qualité de l'Ensemble Il Pomo d'Oro. Les musiciens jouent non seulement debout mais en rebondissant sur les accents, se soulevant sur la pointe des pieds (dirigés par la sauteuse en chef, Zefira Valova). Ils savent toutefois canaliser cette énergie pour déployer d'immenses crescendi, augmentant le volume de manière infime et homogène. Les decrescendi ont beau être soudains, ils sont également très doux.
La soirée est ainsi rythmée par neuf airs et autant d'acclamations, couronnant les agitations tempétueuses d'Oreste, les immenses variations vocales et instrumentales de Rinaldo (Fagioli se tournant régulièrement vers les musiciens, autant pour puiser l'inspiration avec un sourire réjoui que pour les encourager d'amples gestes du bras), la lumière d'Il Pastor fido, l'affectation d'Alcina comme les alanguissements d'Imeneo, le tout culminant par la furie de Xerxès.
Dans un accueil bouillonnant, les interprètes offrent pour premier bis "Se bramate" du même Serse porté par l'énergie de la soirée. Les spectateurs ayant lu nos comptes-rendus des récitals de Franco Fagioli (notamment au TCE et en Avignon) ne seront pas surpris par l’ultime morceau, "Lascia ch'io pianga", ni par le fait que le chanteur invite les spectateurs à entonner le refrain. Point de surprise, certes, mais toujours de l'émotion.