Berlioz et Beethoven au TCE : deux œuvres méconnues reprennent vie
Il faut se transporter au 10 juillet 1825, à l’Église Saint-Roch de Paris, alors que le jeune Hector Berlioz s’apprête à donner sa première œuvre en public. Tous les manuscrits qui ont précédé cet opus ont malheureusement disparu, c’est donc la première œuvre connue du compositeur français, et qui préfigure déjà nombre de ses créations futures, comme L’Enfance du Christ, le Te Deum, ou encore Benvenuto Cellini. Le Cercle de l’Harmonie, orchestre créé et dirigé par Jérémie Rhorer depuis 2005, joue sur instruments d’époque, ce qui confère au concert une authenticité appréciée. Cette Messe solennelle, est tout de suite portée par la magnifique Vokalakademie, ensemble berlinois, constitué de jeunes chanteurs aux capacités exceptionnelles. La fugue du Kyrie, très caractéristique du compositeur français, leur offre dès le début l’occasion de déployer une très belle sonorité, (presque) sans le moindre vibrato, ce qui correspond extrêmement bien au répertoire. La direction dynamique les encourage dans leur enthousiasme visible et communicatif. Il est si agréable d’entendre (et de voir) un ensemble vocal qui semble particulièrement motivé à convaincre le public, surtout dans une œuvre très peu connue du répertoire. L’orchestre en paraît légèrement éclipsé, non qu’il soit mauvais, mais tant les chanteurs captent l’attention par leur talent. Ils sont capables de nuances particulièrement surprenantes pour un chœur, et les ténors méritent une mention spéciale pour les passages en voix de tête merveilleusement exécutés.
Le Credo est le premier air pour soliste, écrit pour basse, interprété ici par Jean-Sébastien Bou. S’il déploie une grande énergie, dans une interprétation quasi opératique, avec une voix magnifique, il manque malheureusement parfois de puissance, surtout dans les graves (il est effectivement baryton, et non basse). Il est rejoint par la soprano Marita Sølberg pour l’Incarnatus est, duo pastoral, dans lequel la norvégienne se distingue par un très beau lyrisme, une ligne musicale raffinée, qui se prête fort bien à l’œuvre. Malheureusement, le baryton, manquant de projection par moments, il se retrouve alors couvert par la soprano, mais son élan et son enthousiasme compensent largement ses légères faiblesses. Il faut attendre la fin de la Messe et l’Agnus Dei pour entendre l’excellent ténor, Daniel Behle, accompagné par les chuchotements des sopranos. Un très beau duo réunit ensuite les deux hommes dans le Domine salvum. Leurs voix s’entendent fort bien, et une fois de plus, leur énergie attire véritablement l’attention du public. La clôture de la Messe se fait sous les applaudissements ravis, et plus fournis encore pour le chœur. La salle n’est certes que moyennement remplie, les œuvres étant fort peu connues, mais le public présent semble sincèrement heureux de découvrir cette œuvre indubitablement intéressante.
Après l’entracte, les artistes reviennent pour Le Christ au Mont des Oliviers, seul oratorio de Ludwig van Beethoven, sur un livret (en allemand) de Franz-Xaver Huber. Jésus y est interprété par le ténor, Pierre par la basse, et la soprano est un Séraphin. Composé pendant l’été 1801, il a été créé en 1803, en même temps que sa deuxième Symphonie et que son troisième Concerto pour piano. L'auditeur ne peut s’empêcher (avec raison) d’y entendre les prémices de son grand opéra Fidelio (dont la composition commence l’année suivante). Le ténor y est absolument excellent, rappelant l’Évangéliste des Passions de Bach. Il interprète le premier récitatif (Jehovah, du mein Vater) avec beaucoup de sincérité, et l’air qui suit (Meine Seele ist erschüttert) avec autant de finesse. Sa voix claire et puissante s’accorde parfaitement au rôle, tantôt suppliant, tantôt brave.
La soprano entre ensuite en scène, dans le rôle du Séraphin, qui ne lui permet malheureusement pas de briller. Marita Sølberg ne démérite pas, sa voix est fort belle, bien maîtrisée, elle est évidemment très musicienne, mais elle est ici sans éclat, certainement parce que l’écriture l’oblige à rester toujours dans la même nuance, ne lui offrant aucune marge de manœuvre pour montrer ses nombreuses qualités musicales. Il est vrai que l’œuvre de Beethoven n’aide pas tellement le spectateur à s’enthousiasmer. Berlioz lui-même, qui l’avait entendue en 1841, avait certes beaucoup aimé l’introduction instrumentale, mais avait noté que « tout le reste cependant n’est pas à la même hauteur ». Le chœur est malgré tout toujours aussi excellent, notamment au moment de l’arrestation du Christ (Wir haben ihn gesehen et Hier ist er, der Verbannte). Le baryton rejoint ses collègues pour un très beau trio, avant un final brillant qui clôture l’œuvre avec un chœur fugué (Preist ihn, ihr Engelchöre). Le public est très enthousiaste, et réclame avec force un bis qui ne leur sera pas offert. Ainsi se referme ce qui restera comme une belle découverte pour beaucoup de spectateurs, ces deux œuvres étant très rarement données en concert, et très peu enregistrées.