Jessica Pratt distille l'Élixir d'amour à Barcelone
Pour cette série de dix représentations de L'Élixir d'amour de Gaetano Donizetti, le Gran Teatre del Liceu de Barcelone a choisi de reprendre la production de Mario Gas donnée pour la première fois il y a trois décennies dans la célèbre maison catalane, et qui fut reprise en 1998 au Teatro Victoria (qui accueillait les spectacles du Liceu pendant sa reconstruction, que de souvenirs !) avec Josep Bros et Leontina Vaduva dans les deux rôles principaux. Avouons que le temps passant entre la création de cette mise en scène en 1988 et cette nouvelle reprise trente ans plus tard ne semble pas rendre davantage intelligible cette production qui transpose l’intrigue dans l’Italie fasciste des années 1930. Les perspectives de l’ouvrage semblent se refermer sur le décor unique, un immeuble aux parois lépreuses d’une banlieue de Rome passablement hideux et en contradiction avec la légèreté ainsi que le caractère bucolique de cette histoire censée se passer à la campagne. La représentation offre de fait des incohérences flagrantes, comme par exemple quand Adina conseille à Nemorino de « partir pour la ville » alors que toute l’histoire s'y déroule déjà.
Heureusement, emporté par le rythme trépidant de l’action, et surtout par un chant globalement de haute qualité, le public a vite fait d’oublier ces incongruités pour se concentrer sur la partie musicale de la soirée. Elle est confiée ce soir à Ramon Tebar, le nouveau Directeur musical de l’Orchestre de Valence, et également nouveau Chef principal invité du Palais des Arts Reina-Sofía (Palau de les Arts), l’opéra de cette même ville. Le chef espagnol réussit notamment l’un des finales du premier acte les plus équilibrés qu’il puisse être donnés d’entendre. Ailleurs, il témoigne de sa parfaite connaissance de cette musique, en soignant particulièrement les dynamiques et le cantabile de la ligne mélodique propres au chef-d’œuvre de Donizetti.
Côté vocal,
l’étoile (incontestée comme incontestable) de la soirée est
Jessica Pratt. Pour sa prise de rôle, la soprano
britannico-australienne propose une Adina de haute volée, comme entendue (hélas !) très rarement. Remercions-la tout d'abord de
chanter de très nombreux numéros sans aucune coupure, par exemple
la cabalette (épisode final rapide et virtuose) du second acte. Elle enchaîne les notes suraiguës, contre-ut
pianissimo, contre-fa final, sans parler de son mi bémol pendant le tempo di mezzo (transition vers la cabalette), et des vocalises à couper le souffle : ce grand air de La Pratt vaut à lui seul le déplacement à Barcelone ! L'auditoire se languira de la retrouver le mois prochain en Amina (La Somnambule)
à Rome, avant sa Semiramide (Rossini) à La Fenice de Venise en
octobre prochain, tant cette immense soprano belcantiste reprend le chemin de son
illustre devancière Dame Joan Sutherland (australienne aussi),
qui avait su rendre au bel canto (à l’instar de La Callas), son âme véritable.
Sans démériter,
les hommes se situent un cran en dessous, à commencer par Paolo Bordogna (Belcore) qui s’avère dans une méforme vocale évidente
en début de soirée, l’intonation chancelant sur une ligne peu sûre. Heureusement, il se rattrape en cours de spectacle et ses étonnants talents de comédiens (il ne cesse de susciter
le rire du public en multipliant les fanfaronnades) lui valent
finalement un beau succès personnel au moment des saluts.
Les talents d’acteur, une aisance à brûler les planches (son retour par le fond de la salle pour reprendre son air final fait délirer le public), et une diction syllabique d’une réjouissante verdeur rendent le Dulcamara de Roberto De Candia intensément présent, même si, pour ce rôle, certains pourront lui reprocher d’être plus baryton que basse.
Dans le rôle de
Nemorino, le ténor slovaque Pavol Breslik convainc par la
conjugaison d’un timbre charmeur (bien que peu différencié) et
d’une élégante ligne vocale (mais qui pourrait gagner encore en
souplesse). Il obtient un petit triomphe après une « Furtiva
lagrima » de fait très bien négociée. Enfin, la jeune soprano
espagnole Mercedes Gancedo campe une excellente Giannetta, le Chœur du Gran Teatre del Liceu se montrant, de son côté, de bout en bout
remarquable.