À l'Opéra de Florence, c'est Carmen qui tue Don José
Alors que Carmen est normalement tuée par Don José, qui conclut l'opéra sur ces mots "Vous pouvez m'arrêter… c'est moi qui l'ai tuée. Ah ! Carmen ! ma Carmen adorée !", la fin nouvelle et cette femme maltraitée qui tue un ancien amant éconduit et violent résonne avec la triste actualité autour de l'Affaire Weinstein, ainsi que les mots-clés #balancetonporc et #metoo incitant les femmes victimes de harcèlements et d'agressions sexuelles à incriminer leurs assaillants et à parler sans honte.
Ce "twist", cette fin inattendue a suscité de nombreuses réactions, principalement articulées sur deux points. Ce choix questionne une fois de plus l'équilibre à trouver entre la liberté créatrice et le respect de l'œuvre. C'est d'ailleurs le principal point de discorde entraînant toutes les querelles et les scandales dans le monde de l'opéra : jusqu'où peut aller la liberté créatrice des interprètes et notamment du metteur en scène sans trahir ou dénaturer une œuvre. Peut-il changer le lieu, le temps (donc les décors et les costumes notamment ?), changer le texte et l'histoire même ? Le débat resurgit sans cesse, pas plus tard que le mois dernier avec La Bohème dans l'espace à l'Opéra de Paris, l'institution qui avait également remis à l'affiche le mois précédent l'œuvre de Patrice Chéreau (notamment célèbre pour avoir replacé la Tétralogie de Wagner durant la Révolution industrielle). Les exemples sont innombrables et s'arbitrent même devant les tribunaux, ou dans notre précédent article-débat : Classique ou Moderne ?
L'autre point sulfureux soulevé par une Carmen meurtrière et/ou en légitime défense est ce message renvoyé avec une certaine violence au spectateur (mais n'est-ce pas aussi la mission du théâtre ?) : comment pouvait-il supporter de voir une femme assassinée par un homme jaloux ? À cela la réponse paraît assez évidente. Voir n'est pas cautionner et le principe même du théâtre repose sur la "catharsis" : vivre un drame en tant que spectateur pour ne pas avoir à le vivre en tant qu'acteur. Mais cette mise en scène a également le mérite de rappeler l'horreur tragique de cet opéra et notamment de la Carmencita, femme sacrifiée parce que libre et qui brave fièrement la mort et la violence, même si tout lui prédit une fin tragique.
Bien entendu, l'enjeu dépasse cette mise en scène et questionne le rapport de chacun à l'art (voire à la vie). Le débat reste donc grand ouvert, notamment en commentaires dans l'espace en bas de cette page.
*Mise à jour : les places pour ce spectacle très commenté ont toutes été vendues avant même la première représentation et le public présent à la première le 7 janvier a applaudi les chanteurs avant de copieusement siffler et huer le metteur en scène venu saluer. D'autant que la fin originale aura finalement fait long feu, comme un pétard mouillé : le pistolet de Carmen s'est enrayé et malgré plusieurs tentatives, elle a contraint Don José à simuler une mort par crise cardiaque.
#SoldOut per il concerto di fine anno, ma anche per tutte le recite della #Carmen diretta da @ryanmcadams_ con la regia di Leo Muscato! pic.twitter.com/1nCM003Lkf
— Teatro del Maggio (@maggiomusicale) 30 décembre 2017