L’Académie de l’Opéra de Paris reste sobre en récital pour les fêtes
Pour clore l’année 2017, l’Académie de l’Opéra de Paris se produisait ce jeudi en récital, dans un spectacle intitulé « Aimer, boire et chanter ». Bien sûr, le chant met l’amour à l’honneur, comme dans tout récital qui se respecte. En revanche, la raison de la présence du verbe « boire » dans ce titre n’apparaît pas avec évidence dans la programmation, qui convoquerait plus heureusement le verbe « danser ». Centré sur les répertoires d’opérette et de comédie musicale, le choix des œuvres met bien moins en avant les grandes qualités des artistes que lors du concert de début de saison.
Sous les yeux de Myriam Mazouzi, la Directrice de l’Académie, debout au fond de la salle (à retrouver ici en interview), Marianne Croux se présente en premier pour interpréter un extrait de l’Amour masqué d’André Messager, ainsi que « Yes ! » de Maurice Yvain. Très expressive, elle semble se délecter de chaque mot, prononcé avec précision. Elle s’approprie les nuances et les tempi, bien suivie en cela par le pianiste Ben-San Lau, qui interagit avec elle, interprétant son amant. Sa voix fine est bien projetée et s’élargit dans l’aigu. Elle revient plus tard pour un duo avec Jeanne Ireland, extrait de West Side Story de Bernstein. Sa voix généreuse y perd en intensité dans la partie la plus langoureuse, mais se fond à merveille à celle de sa comparse dans les mesures finales. Quand à Jeanne Ireland, elle dispose de beaux médiums, larges et vibrants, d’aigus acidulés, s'animant intensément d’une ondée fine et rapide, mais appuyée. Elle interprète « What a Movie » extrait de Trouble in Tahiti (à voir à l'Athénée au mois de juin) du même Bernstein (accompagnée par Enrico Cicconofri au piano) avec une vocalité imagée, qui permet de comprendre le propos même lorsqu’on ne parle pas anglais. D’un autre côté, sa diction dans la langue de Shakespeare est exemplaire pour ceux qui la comprennent, y compris lorsque le débit accélère à la fin de son air.
Sofija Petrovic gratifie ensuite le public d’un « Summertime » et de « My Man’s Gone Now » extraits de Porgy and Bess de Gershwin. Sa voix déjà épanouie est projetée avec conviction, y compris dans les piani, depuis le pharynx. Elle dispose d’un vibrato rapide et d’aigus percussifs. À la fin de son premier air, elle s’avance vers le public, les mains écartées, modulant son chant à la manière d’un Gospel. Elle laisse sa place à Marie Perbost, qui s’offre une « Dernière valse » (Une revue de Reynaldo Hahn) avec le pianiste Benjamin d’Anfray avant d’interpréter « I could have danced all night » extrait de My fair lady (Frederick Loewe), auquel il manque l’accent distingué que tient le personnage d’Eliza à ce stade de l’intrigue. La soprano dispose d’un timbre lumineux. Ses aigus au vibrato ample se déploient largement. Si son phrasé manque de legato, elle donne du sens à son chant parfaitement compréhensible, variant les nuances pour imager son propos : elle accentue un mot pour appuyer son importance, ou souligne une émotion en allégeant sa ligne vocale. Là encore, les interventions du pianiste Benjamin d’Anfray, bien senties, recueillent l’approbation d’un public amusé.
Il faut attendre le dixième air pour entendre la première voix masculine : celle de Danylo Matviienko, qui interprète « So in love » extrait de Kiss me, Kate de Cole Porter. Ses graves lumineux brillent autant que ses chaussures vernies. La voix perd toutefois en densité dans le registre médian, mais conserve un timbre caressant. Un peu plus tard, Danylo (Matviienko) chante le rôle de Danilo (Danilovitsch) dans La Veuve joyeuse de Lehar, en duo avec Angélique Boudeville. Sa voix suave mais ferme y est bien posée et laisse présager (au même titre que son regard séducteur) d’une interprétation convaincante en Don Giovanni. La soprano dévoile quant à elle des aigus ronds et amples : avant d’en laisser admirer plus dans la chanson de Vilja extraite du même opus, les deux chanteurs esquissent quelques pas de danse au cours desquels ils se marchent sur les pieds, puis échangent un tendre baiser. Restée seule en scène avec Alessandro Praticò au piano, Boudeville expose la douceur de son timbre et un aigu rayonnant (que Véronique Gens n’était pas parvenu à émettre sur la grande scène de Bastille en septembre) pour conclure son air. Sa diction en allemand garde en revanche une sonorité très française et les piani pourraient se faire plus sensibles avec un legato plus appuyé.
Angélique Boudeville interprète ensuite un chant traditionnel maori, une couronne de fleurs dans les cheveux, avec un grand lyrisme. Cet air fait écho aux interventions de Farrah El Dibany qui transportent un peu plus tôt le public en Égypte dont elle est originaire, au même titre que Dalila, à qui elle emprunte deux airs. Dans sa robe argentée, elle dévoile une voix profonde et satinée qui s’orne de mélismes perses dans ses chants en arabe. Comme le soleil d’Alexandrie, la voix de Sarah Shine brille dans les aigus purs, agiles et délicatement vocalisants mis en avant par « Mein Herr Marquis » extrait de La Chauve-Souris de Johann Strauss. Déjà admirable, elle atteindrait son plein potentiel en donnant du sens à chaque note, à chaque vocalise. Sa voix est en revanche moins mise en valeur par « The last rose of summer » de Britten, qui sollicite plus le registre médian, dans lequel la ligne vocale manque d’adhérence. Jean-François Marras clôt le récital avec un air du Pays du sourire de Lehar. Droit comme un « i », il laisse exploser ses aigus au timbre clair et parfois légèrement nasal. Sa progression depuis son arrivée à l’Académie est évidente et donne envie de continuer à suivre ces jeunes chanteurs prometteurs. Prochain rendez-vous : leur concert au Palais Garnier le mois prochain.