Une Auberge du Cheval-Blanc survoltée à l’Opéra de Metz
Nappes à carreaux, colombages verts et blancs, géraniums rouges à chaque balcon de la cour intérieure sur fond de montagne et de lac bucolique : l’auberge autrichienne de Saint-Wolfgang est prête à accueillir ses premiers touristes. Débarquent d’un car Suzanne une flopée de visiteurs en manteaux de pluie rouges, auxquels la guide touristique vante les vertus thérapeutiques du bon air des Alpes autrichiennes. L’air est surtout enivrant, puisque les serveurs qui dressent les tables virevoltent dans une danse endiablée. Sous la direction de Laurence Bolsigner-May, le Ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz-Métropole est agile et synchrone, mais prend le risque de chanter. Arrive alors du haut d’un escalier mobile une « Miss Bretzel » entourée de ses deux dauphines. Sourire figé et ceinture de grande gagnante du concours de beauté local, la « Miss » est bien représentative des spectacles télévisuels très grand public de fin d’année.
L’impression de divertissement télévisuel est prolongée par l’arrivée du baryton Michel Vaissière en Léopold, dont l’air « Ah, mesdames et messieurs » pourrait être suivi de « sous vos applaudissements ». Sa voix très légère gagne en intensité lors de son duo avec sa patronne Josefa, la soprano Sabine Conzen sur l’air « Pour être un jour aimé de toi ». Autoritaire, dévorant une boîte de pralines belges en forme de cœur de la marque Ma Chérie, l’effet du chocolat semble radoucir le caractère de la revêche patronne, mais également étouffer sa ligne vocale.
Les touristes-choristes du Chœur de l’Opéra de Metz-Métropole dirigés par Nathalie Marmeuse accostent, et viennent rectifier le hiatus des danseurs-chanteurs en offrant de superbes voix, puissantes, bien placées, à la diction précise et maintenue au gré de leurs amples mouvements.
Deux personnages se distinguent du flot de touristes. Le marseillais Napoléon Bistagne originel de l’argument est devenu un chocolatier bruxellois, Léon Tonneklinker, sous les traits du comédien Laurent Montel, accompagné de sa fille Ottilie, la soprano Léonie Renaud, petite fille gâtée, en combinaison à motif léopard et chapeau à la Audrey Hepburn. La nostalgie de la mère-patrie pousse le chocolatier à déclamer le premier couplet du Plat pays, qui est bien le sien, car il ponctue ses réflexions d’argot bruxellois parfaitement prononcé, traduit au fur et à mesure de la représentation par le serveur Piccolo, interprété par Massimo Riggi. Tonneklinker est un Belge moyen, qui vante les qualités de ses pralines Ma Chérie comme Séraphin Lampion convainc d’acheter ses polices d’assurance. Ottilie tombe très rapidement sous le charme de l’avocat Siedler. Campé par le ténor Carl Ghazarossian, il arrive, sûr de lui, sac de week-end au bras et veste tendance en daim. Son aisance est frappante dans ses notes les plus aiguës, mais son articulation globale manque de régularité.
Puisque Josefa est aussi sous le charme de Siedler, Léopold, jaloux, décide d’attribuer aux Belges la chambre de l’avocat. Le conflit entre la patronne et son maître d’hôtel épris se règle par l’attribution d’une tente standard de camping pour les deux Belges, qui n’ont d’autre choix que de dormir au milieu de la cour de l’auberge. Au réveil de la fille du chocolatier, la parade amoureuse de Siedler et d’Ottilie permet à Carl Ghazarossian de trouver une articulation plus nette, se calquant sur la diction précise de Léonie Renaud et ses jolis vibratos pendant leur duo sur l’air « Tout bleu ». À l’air léger s’ajoute une partition quelque peu sirupeuse.
Le ballet revient en revue des Folies-Bergère, mais les claquettes précises et sonnantes des percussions de l’Orchestre National de Lorraine ne sont pas en adéquation avec les bottes blanches des danseurs.
Un drame se joue dans les cuisines de l’auberge. Léopold donne sa démission à Josefa, après une violente dispute théâtrale. La voix de Michel Vaissière est plus assurée et son timbre plus profond lorsque son personnage est déprimé. Le précède une brigade de marmitons qui présente une paradoxale synchronie physique et vocale dans la cohue des assiettes et des casseroles.
Après l’entracte, l’orchestre, enlevé et pétillant, annonce l’arrivée de Célestin, Julien Belle, dont l’excellente diction est ternie cependant par un manque de coffre. Suivent, non pas le professeur Hinzelmann de l’argument originel, mais le « maestro » Desgrieux, interprété par Jean-Marc Guerrero, et sa fille Lisa (et non Clara), incarnée par la danseuse Lisa Lanteri. Avec son violon blanc et son costume kitsch, Desgrieux rappelle un homme d’affaires néerlandais, accessoirement musicien, qui jouit d’une forte renommée auprès du public du troisième âge. S’ensuit une délicieuse satire sous couvert d’interview par Célestin, sur l’authenticité du personnage Desgrieux qui dit être « vrai » mais joue des cordes à vide de son violon avec beaucoup de difficulté. Le coup de foudre entre Lisa, qui a un cheveu sur la langue, et Célestin, qui est chauve, est à la fois comique par la diction de Lisa Lanteri, et gracieux par leurs pas de danse. Après la confrontation entre Tonneklinker et Siedler, qui se révèle être l’avocat d’un chocolatier suisse concurrent, l’autre duo amoureux entre Siedler et Ottilie met Léonie Renaud en difficulté dans les notes les plus graves.
Le conseil municipal voit le retour de Léopold, ivre d’eau-de-vie de mirabelle. Il est « un p’tit peu chlass » mais Michel Vaissière déploie une diction précise sur l’air éponyme. Se pose cependant la question du choix de mise en scène curieux d’un conseil municipal dont l’on n’entend que les voix en écho. Précédant l’arrivée de l’Empereur, le chœur, toujours puissant et eurythmique, retentit sur l’air « Ô ma patrie ». L’Empereur, interprété par Philippe Brunella, est accompagné par l’impératrice « Mélania », ersatz de première dame botoxée très contemporaine, dont la robe et le chapeau évoquent les tenues de Jackie Kennedy.
À l’interrogation du public quant, entre autres, au car Suzanne, à Brel et à l’apparition d’un « musicien » pour maison de retraite à l’époque de l’empereur François-Joseph, la mise en scène fait le choix d’une justification très périlleuse. Puisque la patronne s’appelle Josefa, homonyme d’une autre Josefa comique sous les traits de la pétillante Claude Gensac, Léopold justifie l’apparition de l’Empereur en reprenant le synopsis précis d’Hibernatus, en particulier la scène d’explication finale délirante au pauvre Paul Fournier que la glace a conservé. Le public s’en amuse, mais ce n’est pas faire grâce au génie comique de Louis de Funès.
Le chœur qui corrige ce faux-pas, est toujours merveilleusement harmonieux sur l’air « Plus bas, plus bas » de la chorale de Saint-Wolfgang, et cède la place à la signature du livre d’or de l’auberge par l’Empereur. La touchante tirade « Ainsi va la vie » de ce dernier, sur fond musical qui met en valeur la douceur de la harpe, est quelque peu gâchée par l’artificielle Mélania qui se trémousse derrière son mari. Les paroles reprises par Josefa permettent à Sabine Conzen de conclure son rôle en maîtrisant enfin parfaitement sa ligne vocale. Josefa succombe à Léopold obstiné qui réitère « Pour être un jour aimé de toi ». Les trois couples sont enfin prêts à s’unir, tournoyant au milieu du ballet final, et saluant le public.