Les Saisons de Haydn, une métaphore des âges de la vie à la Philharmonie
Alors qu’il arrive à l’hiver de sa vie, Haydn compose Les Saisons (Die Jahreszeiten), son dernier grand oratorio. Comme pour La Création (autre oratorio composé par Haydn) le livret est écrit par Gottfried van Swieten, cette fois-ci d’après The Seasons de l’écrivain James Thomson et il fut critiqué à l’époque pour sa description quelque peu naïve de la vie paysanne. Dépourvu de dramatisme, le livret comprend une dimension symbolique à travers trois personnages qui observent la nature et célèbrent ses bienfaits d’origine divine. Le fermier Simon, sa fille Hanne et le paysan Lucas racontent différentes scènes au cours des saisons de l’année.
L’œuvre se découpe en quatre cantates débutant chacune par une introduction instrumentale suivie de récits, d’airs, de duos, trios et de chœurs. Sous la direction de Douglas Boyd, l’Orchestre de chambre de Paris, le chœur Accentus, Mari Eriksmoen (soprano), Toby Spence (ténor) et Daniel Schmutzhard (baryton) conjuguent leur énergie à mettre en relief les pages musicales de cette œuvre du tout début du XIXe siècle.
La collaboration entre l’Orchestre de Chambre de Paris et Douglas Boyd remonte à 2015, et leur fréquentation de la musique de Haydn à la saison dernière avec Les sept dernières paroles du Christ, donné dans la salle de la Cité de la musique (retrouvez-en notre compte-rendu). Leur entente est audible dès Le printemps alliant précision, légèreté, énergie et fougue. Au centre de l’orchestre trône un pianoforte qui accompagne tous les récits. Sans baguette, le chef parvient à unir l’orchestre et le chœur, soulignant les différentes dynamiques et phrasés de l’œuvre.
La basse et le ténor annoncent les dernières intempéries de l’hiver d’une diction très précise et la soprano, secondée par le hautbois, l’arrivée du printemps d’une délicatesse exquise. Elle lit attentivement sa partition dans une attitude qui convient à son rôle de narratrice. Suit le chœur des campagnards, pendant lequel l'auditoire peut apprécier l’homogénéité de l’ensemble, la douceur des voix féminines et le timbre mordant des hommes. Haydn parsème sa musique de touches populaires comme dans l’air de Simon : « Schon eilet froh der Ackermann », thème repris de sa symphonie La Surprise. La voix bien timbrée de Daniel Schmutzhard, sans vibrato exagéré et à la vocalité claire convient parfaitement à la simplicité de cet air. À côté de ces touches populaires, Haydn développe une écriture polyphonique savante, comme en témoignent les deux fugues solennelles concluant le printemps et l’hiver, magistralement menées par le chef très investi.
Le son des cordes jouées avec sourdine et les récits très suaves font ressentir la chaleur écrasante de l’Été. Toby Spence distille cette chaleur dans la cavatine « Dem Druck erlieget die Natur » de son timbre riche et varié. Il fait vivre les silences entre des phrases vocales qui s’épanouissent, partant de sons pianissimo non vibrés et se développant en sons plus soutenus au beau vibrato généreux, qu’il atténue aussitôt tant la chaleur est accablante. Cette saison sera aussi l’occasion d’un magnifique duo entre la soprano et le hautbois : « Welche Labung für die Sinne ». Pour cette occasion, le hautboïste s’avance sur le devant de la scène sous l’œil attentionné du chef, lui-même ayant pratiqué cet instrument avant de devenir chef d’orchestre. La voix résonante et claire de Mari Eriksmoen ainsi que la souplesse de son phrasé et l’aisance de ses vocalises se marient magnifiquement avec le timbre de l’instrument. À la fin de cet air, le public charmé applaudit sans attendre la fin de l’Été qui ne saurait tarder avec l’orage évoqué par le chœur (Ach, das Ungewitter naht). C’est l'un des sommets de la partition, préfigurant les futurs orages romantiques comme celui de la symphonie n°6 « Pastorale » de Beethoven.
L’automne est bien entendu la saison des vendanges et de la chasse que le chœur illustre glorieusement au son du cor. C’est aussi le temps d’un duo de la soprano et du ténor, « Ihr Schönen aus der Stadt » qui rappelle un autre duo, celui de Tamino et Pamina. La musique évoque l'un des airs de Papageno, ces trois rôles de La flûte enchantée ayant déjà été abordés par nos trois solistes. Daniel Schmutzhard, à l’aise dans les vocalises de l’air « Seht auf die breiten Wiesen hin », manque cependant de puissance, notamment dans le grave et peut être par moments couvert par l’orchestre. Son émission souvent dépourvue de vibrato rend son chant quelque peu poussif. L’Automne s’achève toutefois dans un moment festif au son du tambourin et du triangle.
L’hiver, et avec lui un certain dramatisme fait entendre la soprano dans un largo qui met en valeur le medium et le grave de sa voix dans l’homogénéité de son ambitus. Le ténor brille dans l’air virtuose qui suit « Hier steht der Wand’rer nun », tout en nuances. Vocalisant aisément il fait entendre sa fougue et sa voix riche d’harmoniques. Il atteint le dernier aigu avec assurance et, content, se rassoit, oubliant son intervention dans le récit suivant, mais se rattrape dans un grand sourire. L’Hiver s’achève sur une fugue magistrale et l’on comprend que Les Saisons sont une métaphore des âges de la vie, Haydn s’identifiant au dernier air de Simon : « Vois ici, homme fourvoyé, vois l’image de ta vie. Ton bref printemps est passé, épuisée la force de ton été. Déjà ton automne décline vers la vieillesse, déjà s’approche le livide hiver qui te montre la tombe ouverte. »
La soirée ne s’achève pourtant pas ainsi. Douglas Boyd annonce que la tradition britannique veut que tout le monde chante ensemble à Noël, ce qui corrobore les expériences musicales participatives que développe chaque année l’Orchestre de chambre de Paris. Deux extraits des Saisons sont repris, étoffés de chanteurs amateurs ayant été préparés lors de deux ateliers par Christophe Grapperon qui, avec Frank Markowitsch sont les chefs de chœur d’Accentus. Le public sort heureux, prêt à affronter les températures peu clémentes de ce mois de décembre.