Lundi musical de l'Athénée par Stéphane Degout, de l'Aurore à l'alouette
En bien des points, ce concert est un début et une fin. Dernier récital de la série consacrée par Stéphane Degout et Simon Lepper à Fauré, Brahms et Schumann (après notamment un passage remarqué et chroniqué par nos soins à Bruxelles), il est la promesse de retrouver le chanteur dans ces tournées européennes portant haut le duo pour voix et piano. Ce concert inaugure également la quatrième saison ressuscitant les mythiques "Lundis musicaux de l'Athénée", une saison qui est bien entendu dédiée à l'initiateur de cet incroyable projet mené entre 1977 et 1989 : Pierre Bergé.
Le programme est également une fin et un début : il remonte le temps en partant de la France pour se rendre en Allemagne. Gabriel Fauré (1845-1924) offre d'emblée au chanteur l'occasion de briller sur l'Aurore et de croître jusqu'à tonner vers l'Automne (tous deux poèmes d'Armand Silvestre), en passant par le Printemps fleuri de Charles Jean Grandmougin. Le baryton plie alors le genou pour mieux élancer son buste et sa voix vers une puissance lyrique aux accents Verdiens (augurant au mieux pour l'événement lyonnais de mars prochain : Stéphane Degout s'attaquera à Verdi avec Don Carlos, réservations).
Habitué des plus grandes scènes lyriques et grande voix du chant français, Stéphane Degout fait de ses récitals de grands drames lyriques, des opéras avec toute sa palette d'intentions et de nuances : depuis le murmure d'une rose éclose et au risque même de la voix de tête, jusqu'à la cataracte sonore (c'est pourquoi son Lundi musical de la saison dernière se transposa si bien à l'Opéra de Lille). Le tout est porté par un souffle à peine croyable, soutenant dès lors un art consommé du legato et du phrasé. Le tout est couronné par une prononciation modèle (qui prononce aussi bien que lui le e de cœur ? Tézier, peut-être). On se pâme devant son génie des diérèses : ces articulations entre deux voyelles (di-apré), qui touche au sublime dans les rimes féminines (finissant par un e) aimé-e, fumé-e.
L'allemand de Johannes Brahms (1833-1897) présente une même qualité de prosodie et d'accroche sur les résonateurs du masque (vibrant puissamment au niveau du voile mou du palais). La richesse d’articulation soutient une incarnation vocale. Les mâchoires serrées et le regard noir sur "Nicht mehr zu dir zu gehen" (Ne plus te visiter) sont terrifiants mais toujours terriblement musicaux, d'autant qu'ils savent s'alléger en un mouvement rapide bien articulé : "Willst du, daß ich geh ?" : Veux-tu que je parte ? Non ! lui répond le public par des acclamations dès avant l'entracte. Un public réjoui de retrouver les interprètes pour les Zwölf Gedichte de Robert Schumann, dominé par Erstes Grün (Jeune et verte, herbe fraîche ! Combien de cœurs ont été guéris par toi Après être tombés malades de la neige de l'hiver ? Oh, comme mon cœur se languit de toi !). Ce Lied résume l'esprit romantique, combinant la douce ritournelle, le lien sentimental à la nature et ce mode mineur apportant la nostalgie.
Le pianiste Simon Lepper déploie une identité sonore, dialoguant avec la voix, mais sachant aussi lui offrir de longues résonances. Cela tient notamment au jeu savant combinant les pédales de l'instrument, tout en laissant un peu plus longtemps enfoncées les touches sur les mouvements arpégés.
Ainsi le public est-il mené à travers mélodie et Lied jusqu'au bis, Lerchengesang de Brahms, le salut céleste de l'alouette dont l'interprète récite le texte traduit aussi bien qu'il le chante ensuite. L'immense silence du public, prolongeant le point d'orgue du programme, salue la performance avec autant d'intensité qu'éclatent les bravi.
Nous vous confirmions récemment, chiffres à l'appui, combien l'opéra est plus accessible que bien d'autres loisirs. La preuve par l'exemple, vous pouvez réserver des places à 20 € pour assister à un moment lyrique marquant : Degout passant de Pelléas à Golaud !