France 3 programme un Gala Offenbach
La salle des Folies Bergères est remplie de spectateurs et de matériel de captation : France 3 enregistre l’émission La Folie Offenbach, présentée par Cyril Féraud (que les spectateurs présents n’auront qu’entraperçu) et mise en scène par Nadine Duffaut. Avant que la première note ne soit jouée, le chauffeur de salle dirige les spectateurs pour des prises de son et d’images du public applaudissant, variant les éclairages et l’intensité des ovations, afin que les plans filmés puissent être incorporés au montage final. Les caméras, fixées sur des bras télescopiques ou portées par un caméraman disposant d’un système compliqué de stabilisation de l’image, bougent en permanence afin d’apporter du dynamisme aux prises de vue.
L’Orchestre de l’opéra de Rouen, dirigé par Didier Benetti, dispose de tablettes tactiles en guise de partition. Il se lance dans un premier cancan accompagnant l’entrée en scène des 16 danseuses du Moulin Rouge qui peinent à trouver la place pour lancer leurs jambes sur la petite scène, pour leurs impressionnants grands-écarts. Elles accompagnent leur danse des petits cris caractéristiques du genre, laissant entendre leurs aigus bien projetés. Les chanteurs apparaissent ensuite dans une farandole, encore un peu timide. Il faut dire que l’exercice est difficile : les parties vocales étant sonorisées, leur rendu est très différent de celui qui prévaut lors des concerts traditionnels. Le stress est également à son comble et touche visiblement les artistes les moins expérimentés. L’avantage est en revanche qu’une seconde prise est possible dans le cas où un incident technique, un aigu raté ou une parole oubliée rendent un numéro insatisfaisant.
C’est à Valentine Lemercier que revient le premier air soliste. Entourée de danseurs, éphèbes costumés en grecs antiques mais agissant en jeunes de banlieue, elle exprime la fausse candeur de La Belle Hélène par sa voix ronde dans l’aigu, fortement vibrée. Son phrasé inspiré accompagne ses gestes tendres envers les hommes qui l’entourent. Après l’entrée des rois (extraite du même opus), Florian Laconi, la barbe fournie, interprète « Au mont Ida » de ses aigus souples et agiles et son phrasé distingué, les « r » étant roulés avec légèreté. Puis, dans le trio patriotique, Marc Barrard diffuse sa voix triomphante (déjà audible peu avant en Agamemnon, "ce qui nous dispense d’en dire plus long") tandis qu’Éric Huchet, grand serviteur de ce répertoire (et à retrouver ici en interview), sait extraire le comique de chaque mot, et qu’Ugo Rabec offre un échantillon de sa profondeur vocale.
Dans un extrait de La Périchole, Violette Polchi, dont le visage est rougi par la tension, se montre grise, jouant à merveille la démarche mal assurée de la coquette pompette. Dans Pomme d’Api, le charmant Armando Noguera au timbre brillant s’acoquine avec la sensuelle Amélie Robins aux aigus légers dans les vocalises mais puissants et ronds lorsqu’ils sont tenus à pleine poitrine pour conclure les cadences. Antoinette Dennefeld interprète alors le couplet du thé de Geneviève de Brabant, distribuant avec délectation les paroles de son air traitant d’un sujet grave : le pâté, qu’il « faut faire descendre, c’est pourquoi j’ai mon thé ». Autre extrait de cet opus, la chanson de la poule égrainant les « cocorico », est interprétée par Rémy Mathieu, dont le souffle court (sans doute gêné par le stress), ne masque pas le joli timbre et la belle diction qui caractérisent ce ténor (qui chantait Drogan et l'Ermite du ravin dans la production de l’œuvre à Nancy l’an dernier).
Bien sûr, La Vie Parisienne tient une part importante de ce tour de chant. Le duo de la gantière et du bottier est chanté par Tatiana Probst et Pierre-Antoine Chaumien. La première dispose d’une voix fine et vibrante, trouvant de la souplesse dans un ancrage haut placé, tandis que le second (qui remplace Enguerrand de Hys initialement prévu) montre un jeu théâtral abouti au grand pouvoir comique. Sébastien Droy est un Brésilien sans folie, concentré sur sa diction, affichant un sourire radieux et une prononciation soignée. Régis Mengus demande à « s’en fourrer jusque-là » d’une voix aussi claire (mais dont la ligne se brise parfois) que sa prosodie. Tatiana Probst revient en Veuve d’un colonel assez sage et à la voix satinée.
Amélie Robins s’attaque ensuite à La Fille du Tambour-Major, avec une certaine profondeur dans la voix et un jeu convaincant, droite comme un i, avec une gestique de danseuse. Son magnifique aigu final lui vaut un tonnerre d’applaudissements, sans intervention du chauffeur de salle. Éléonore Pancrazi interprète ensuite « Examinez ma figure » avec de beaux médiums, des vocalises fluides et un vibrato léger et doux : il est rarement donné d’entendre parler de vapeurs de manière si charmante. Place ensuite à La Grande Duchesse de Gérolstein : Valentine Lemercier aime les militaires de son timbre moiré dont s’élance des aigus tenus hauts et sonores, avant qu’Armando Noguera ne se montre à cheval sur la discipline avec sa voix couverte. Éric Huchet et Valentine Lemercier (qui semble s’amuser en Duchesse) concluent cette séquence.
Dennefeld, avec sa fraîcheur et Marc Barrard, un peu absent, font un détour par l’Alsace (extrait de Lischen et Fritzchen) qui introduit la Légende de Kleinzach de l’ultime chef-d’œuvre du maître de l’opérette, Les Contes d’Hoffmann, interprété par Florian Laconi dont le phrasé est gorgé d’intentions théâtrales, donnant du sens à chaque mot, et la voix très lyrique. Il conclut son air d’une note tenue puissamment projetée, avec un vibrato très régulier : sa performance lui vaut des applaudissements nourris. Violette Polchi interprète alors l’air de l’acte II de Nicklausse. Ses beaux graves ont du caractère : le son est produit depuis le fond de la gorge et remonte vers des aigus fortement vibrés. Ugo Rabec trouve une résonance large et profonde dans des graves qui scintillent comme le diamant par lequel il s’apprête à séduire Giuletta. Son phrasé est toutefois un peu haché. Éléonore Pancrazi et Antoinette Dennefeld partagent une nuit d’amour pour refermer ce chapitre, laissant leurs voix s’entremêler dans la fameuse barcarolle.
Comme il se doit, c’est le festif Orphée aux enfers qui referme la soirée. Le duo de la mouche est chanté de manière frétillante par Mélanie Boisvert et avec ampleur par Jean-Luc Ballestra, dont l’ancrage est fragile, ce qui déstabilise sa ligne vocale. Pierre-Antoine Chaumien revient en ancien Roi de Béotie, présentant son timbre clair et mettant son cœur à nu. Ce dernier est toutefois déchiré par Rémy Mathieu, plus à l’aise que dans sa première intervention avec ses aigus limpides et bien projetés. La soirée se referme dans un bal original et un galop infernal, laissant une curiosité : comment le montage et l’ingénierie sonore transformeront-ils cette performance ?