Un Barbier participe-à-tif à Rouen
Cette participation crée une atmosphère unique dans la salle et permet de remarquables actions pédagogiques : un véritable kit musical est disponible gratuitement sur le site de l'Opéra, permettant aux écoles et familles de s'entraîner en amont et d'arriver au Théâtre enchantés, en chantant et sifflotant.
Toutefois, les passages invitant le public à chanter, qui fonctionnait si bien auparavant (retrouvez notre compte-rendu de l'opéra participatif donné l'année dernière à Rouen : Tistou les pouces verts) tombent ici un peu comme un cheveu -ou un poil de barbe- sur la soupe. Après une première intervention qui met certes bien en voix "piano, pianissimo, Tous avec moi ! Tous avec toi !", la seconde est tout bonnement impossible à chanter, exigeant du public qu'il suive une véritable cavalcade Rossinienne ("Faut foncer !" comme dit le texte). Se conjuguent alors toute l'énergie synchronisée des grands moulins de bras déployés par le chef d'orchestre (Adrien Perruchon dans sa chemise jaune citron) et la cheffe de chœur Jeanne Dambreville (qui chante elle-même bien fort), exposés en pleine lumière et tournés vers l'assistance. D'autres passages participatifs, mieux pensés, fonctionnent bien (notamment "Bonne sieste", tel un refrain en réponse aux solistes). Ces moments de qualité sont également dus à un très appréciable Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, délicat et conscient de ses talents, sachant ne pas se précipiter dans le piège des immenses accelerandi Rossiniens.
Certes, c'est un choc pour le mélomane que d'entendre en français des airs qui figurent parmi le panthéon du chant italien (le livret est ici de Gilles Rico d’après celui de Cesare Sterbini). Mais, outre le fait que la langue de Molière soit bien articulée par les chanteurs et donc assez intelligible du jeune public, la traduction est dans l'ensemble supportable, sauf certains passages qui brutalisent le rythme musical et la grammaire française ("Je suis Lindoro qui tes beaux yeux réclame et de toi toujours parle ainsi", "un gars qui est bien bourré, le tuteur l'accueillera", "je vais vous taper. Avez-vous juré de me faire craquer"). Même, certains choix sont parfaitement incompréhensibles : pourquoi traduire La Calunnia (une référence de l'art lyrique qu'il est indispensable de transmettre aux jeunes générations) par "Un scandale" et pas tout simplement par "La Calomnie" ?!
Même Bourvil y avait pensé :
La scénographie de Thibault Sinay, dans cette mise en scène signée Damien Robert, offre pourtant à cette production de nombreux atouts pour plaire à chacun. Une petite camionnette jaune télécommandée fait d'emblée rire le public, d'autant que, magie du théâtre, c'est une véritable camionnette qui revient avec les chanteurs à son bord et le pianiste qui accompagne les récitatifs depuis l'arrière du pick-up. Dans le décor onirique, les maisons sont à peine plus grandes que les humains et elles s'ouvrent en deux pour découvrir le cabinet du médecin ou la maison de poupée de Rosine.
Sur ce plateau, ce n'est pas le couple amoureux de l'histoire qui rayonne le plus, mais les deux interprètes principaux. Tout d'abord, le Figaro Anas Seguin (Révélation classique de l’ADAMI) qui réjouit dès sa première entrée sur scène, dans son incroyable véhicule : un vélo-carriole, lui permettant de transporter un passager devant lui, passager dont le siège n'est autre qu'un fauteuil de barbier ! Ce moyen de locomotion est donc un bureau de barbier mobile, une sorte de Ubarber, mais avec un tel Figaro du chamane Anas qui multiplie les talents vocaux (et même de ventriloque), on monterait presque sans réfléchir avec lui. Qu'il doit pourtant être dangereux de se faire raser à vélo ! Bartolo l'apprendra à ses dépens. Ce Figaro à la barbe fournie et remplie de fleur, déploie une voix agile et bien timbrée, qui sait être tranchante comme son rasoir ou s'aérer tel un brushing, le tout à la mesure des lieux et du public, comme son jeu d'acteur.
Inès Berlet (à retrouver dans ce même théâtre en mai 2018 pour Médée de Cherubini : avec des places à partir de 13€ !) se sort de la tâche ardue consistant à interpréter en français les célèbres lignes très ornées de Rosine. Elle dispose pour ce faire d'une assise vocale arrondie, d'aigus radieux, d'un vibrato ample et rapide. D'autant qu'elle tient à merveille son rôle de poupée ballerine, mélange entre Cendrillon, la fée clochette et Mireillle Mathieu, sortie d'une boite à musique et qui reste longuement immobile dans sa pouponnière.
À l'inverse de ce duo, le conflit entre Almaviva et Bartolo traîne en longueur, bien que ce Barbier ait connu de considérables coupes par rapport à l'œuvre originelle (1h10 et 5 interprètes au lieu de 3h et d'une dizaine de personnages : une adaptation musicale maniée par les ciseaux de Thibault Perrine). Manquant d'implication, leur lutte devient franchement rasoir, occupant un long tunnel barbant sans intervention du public.
Étonnamment, Matthieu Justine (qui fit merveille avec La Périchole à l’Espace Pierre Cardin) tire exclusivement le Comte Almaviva vers le caractère bouffe, proposant une parodie de chant, aussi serré que pincé et déraillant constamment. Le caractère et la voix de Thibaut Desplantes (apprécié dans L'Ombre de Venceslao) campent le docteur Bartolo. Son chant vrombissant s'atténue cependant dans les aigus et les mouvements rapides où il perd le tempo. Pour Don Basile, Olivier Déjean n'a pas l'appareillage vocal aussi immense que ses sourcils et l'écharpe bien plus grande que lui, mais la voix est belle et bien timbrée dans l'esprit Rossinien : tonique et bondissant légèrement.
Malgré cela, le public ne coupe pas les cheveux en quatre et n'a clairement pas un poil dans la main, tant il applaudit gaiement le spectacle, avant d'aller se restaurer au bar, avec des barbes à papa, évidemment !
Ce Barbier est une aventure participative pour le public, mais également une remarquable action collaborative de ses initiateurs : il s'agit en effet d'une co-production avec Avignon, Marseille, Montpellier, Nice, Toulon, Reims, Vichy ainsi que le Théâtre des Champs-Élysées qui proposera ce spectacle les 10 et 13 janvier 2018 après avoir fait l'événement par la double distribution de l'originel Barbier de Séville dans une mise en scène de Laurent Pelly.