Franco Fagioli et Haendel illuminent les Champs-Élysées
Le public est venu nombreux acclamer le phénomène vocal qu’est le contre-ténor Franco Fagioli dans un répertoire d’œuvres de Haendel. L’ensemble du Kammerorchesterbasel débute le concert avec l’ouverture de Giulio Cesare, opéra seria narrant les amours tumultueuses de Jules César et de Cléopâtre. Franco Fagioli côtoie régulièrement le répertoire des castrats, en témoignent les deux albums qu’il a consacrés l’un au castrat Caffarelli, l’autre à son maître Porpora. Le contre-ténor fait son entrée sur l’introduction orchestrale de l’air martial « Presti omai l’Egitzia terra », extrait du même opéra, lors duquel le héros savoure sa victoire sur les troupes de Pompée en Égypte. Le chanteur se campe à l’avant de la scène, le pied droit avancé, les bras légèrement écartés favorisant l’ouverture du thorax, posture qu’il retrouve à chaque passage virtuose. Sa voix est agile sur toute la tessiture, qu’il balaie acrobatiquement en vocalises, trilles et ornements très détachés.
Il enchaîne avec Imeneo, par le lamento de Tirinto « Se potessero i sospir’ miei » alors que Rosmene, son amour, vient d’être enlevée. La laxité de son larynx entraîné aux roulades produit un vibrato rapide, audible dans les airs plus lents. Il orne magnifiquement les da capo (reprise de la première partie d’un air) jouant de sa voix de baryton pour les graves et de sa voix de tête pour les aigus, le tout dans une grande homogénéité.
Il retrouve Jules César dans un dialogue avec un violon soliste imitant le rossignol, l’empereur dévoilant l’amoureux derrière le guerrier dans l’air « Se in fiorito ameno prato ». Les deux interprètes se répondent, s’imitent, rivalisant de virtuosité dans une théâtralité ostentatoire. Le chanteur émerveille le public non seulement avec son agilité mais aussi avec de longues tenues et des aigus veloutés que permet un souffle ample et maîtrisé. Toutefois le legato pâtit quelque peu de sa façon d’accompagner chaque syllabe de mouvements de mâchoire.
Le phrasé généreux du chant est insufflé par le premier violon, Julia Schröder qui, tout en jouant, dirige l’ensemble de tout son corps. Durant la soirée l’ensemble orchestral interprète également trois concerti grossi (dialogue entre l'orchestre et plusieurs solistes) sur instruments d’époque. Les violons auxquels se joignent deux hautbois se font face, entourant le continuo (clavecin, violoncelles, contrebasse, théorbe et basson), tous sous l’impulsion démonstrative du premier violon. La qualité de son d’ensemble, de phrasé, de couleurs et de nuances est indéniable, rendant très vivants ces trois concerti.
La première partie s’achève avec « Cara sposa », extrait de Rinaldo et « Agitato da fiere tempeste », extrait d’Oreste. Le contre-ténor argentin communique à merveille l’intensité de la musique de Haendel. Il réalise de fort belles nuances, hissant les phrases vers un aigu jamais saturé dans la complainte de Rinaldo qui pleure son épouse disparue, et se déchaînant en vocalises tout au long de l’air suivant.
Après l’entracte, d’un pas décidé, la silhouette tonique de Franco Fagioli réapparaît pour interpréter deux airs, un extrait d’Alcina et un autre d'Il pastor fido. Il indique son tempo à l’orchestre et c’est reparti de plus belle pour des fontaines de fioritures et de vocalises dans tous les sens et sur toutes les hauteurs, reliant les deux registres par une voix mixte très développée. Le public conquis l’acclame toujours plus fort. L’artiste totalement libéré exulte dans l’extrait d’Ariodante « Scherza infida », montrant un large panel de possibilités expressives, musicales et virtuoses propres à l’écriture italienne baroque.
L’artiste parvient à instaurer un rapport étroit avec le public. On lui crie en italien « il y a deux chefs d’orchestre dans ce concert ! », sur le morceau suivant, il joue lui-même au chef d’orchestre, se mettant à danser pour communiquer le tempo aux instrumentistes. On lui demande de chanter « Lascia ch’io pianga », il s’exécute en faisant chanter le public à la reprise et s’amuse d’un petit geste des doigts à faire triller ce grand chœur lors de la cadence finale. Certains peuvent éprouver une overdose de vocalises mais la majorité du public semble apprécier au plus haut point la prestation de cet acrobate vocal. Le concert s’achève non pas sur des « bravo » mais sur les « merci, merci ! » d’un public debout extrêmement reconnaissant.