Pierrette et Jacquot, un beau Dimanche Offenbach à l'Odéon de Marseille
De retour d’une tournée de concerts éprouvante – mais très enrichissante – aux États-Unis, Jacques Offenbach est déjà fort occupé – sans que cela ne lui déplaise. Pourtant, alors qu’il est dans le train, il lui vient l’idée d’une nouvelle œuvre en un acte, pour deux sœurs de la grande famille de comédiens italiens, les Grégoire, qu’il avait remarqués à Strasbourg. Offenbach affirmant qu’il ne faut que vingt-quatre heures pour créer ce petit acte, il convainc ses collaborateurs Jules Noriac et Philippe Gille. En l’espace d’une journée, l’œuvre est conçue. L’intrigue reste relativement simple, basé sur un amusant quiproquo de mariages autour de Cyrille Durand, rentier qui veut mériter une médaille de sauveteur acquise sur un malentendu, ses deux enfants adoptifs Pierrette et Jacquot, qui s’aiment l’un l’autre, et Madame Patacha, veuve et marraine d’une œuvre de charité.
En raison des répétitions de la prochaine production d’opérette avec mise en scène, Le Chanteur de Mexico de Francis Lopez, et Pierrette & Jacquot étant présenté en version concertante avec piano, le public est accueilli dans le foyer de l’Odéon. Malgré ce lieu plutôt inhabituel pour un concert, cela crée une sympathique proximité avec les artistes. C’est guidé par Jean-Christophe Keck, qui partage avec naturel ses connaissances sur l’œuvre d’Offenbach, que le public se voit offrir quelques mises en bouche avant l’opérette. Déjà, on découvre les talents de comédien de Frank T'Hézan, qui interprète « le couplet du Facteur Rural » extrait du Château à Toto. Cette opérette a été composée en 1867 pour le Palais Royal où les interprètes sont plus comédiens que chanteurs. Avec son accent provençal, le jeu de T’Hézan met justement très bien en valeur le texte plein d’humour, le timbre de sa voix permettant de passer du parlé au chanté sans heurt. Se font ensuite entendre la nourrice ambulante de Geneviève de Brabant puis « Monsieur Étienne, mon coiffeur » extrait de La Diva, interprétés par Jeanne-Marie Lévy. Celle-ci se montre très crédible dans ses personnages et, malgré la légèreté de ses airs, montre un phrasé beau et soigné. Sa diction permet une compréhension parfaite de son texte, et elle impressionne même, quand elle garde les dents serrées, n'articulant volontairement pas, pour figurer l'énervement de son personnage.
La version de cette après-midi est accompagnée par le pianiste Diego Mingolla, qui se montre toujours très attentif, avec un jeu équilibré et soigné. L’utilisation de la pédale est peut-être un rien exagérée, sans doute pour gagner en ampleur tout en minimisant la puissance sonore, qui saturerait dans ce petit foyer et couvrirait les voix. Jean-Christophe Keck dirige avec discrétion mais aussi beaucoup d’attention, gérant les équilibres et les tempi assis sur le côté, juste devant le premier rang. Franck T’Hézan interprète Cyrille Durand avec la prestance et l’humour qui lui sied. Le timbre de sa voix se prête très bien à son rôle, même dans les ensembles. La mezzo-soprano Jeanne-Marie Lévy, qui incarne Madame Patacha, souvent détachée de sa partition, est aussi très à son aise dans son rôle (retrouvez Jeanne-Marie Lévy dans notre compte-rendu de Faust à Massy). La jeune soprano Julia Jérosme est une Pierrette à la voix charmante et pleine de fraîcheur. Sa technique se montre aussi sérieuse et maîtrisée. Malheureusement, Christophe Crapez est annoncé – à la fin du concert – assez souffrant. Sa prestation est en effet bien moins intéressante que celles de ses collègues. Bien qu’il se montre à l’aise dans les dialogues, il ne le paraît plus beaucoup dans les parties chantées. Son timbre de ténor n’est pas toujours très agréable, encore moins dans les ensembles, son souffle est très limité et il fait souvent défaut de justesse (retrouvez Christophe Crapez dans The Lighthouse à l'Athénée).
Œuvre à l’intrigue amusante et à la musique légère, l’opérette en un acte est de ces moments fort sympathiques qui font rire et qui ne lassent jamais, par son format très court, certes, et la convivialité de ces moments.