La Flûte enchantée voyage dans le temps à l’Opéra Comique
Plus qu’une double
action, c’est une fusion entre le jeu scénique et les projections
sur ce plateau blanc qui est proposée au public. Quatre portes
dérobées sur cet ensemble servent aux entrées et sorties des
personnages, dont trois en hauteur, permettant une représentation
« plate » (littéralement sans profondeur) rappelant
l’écran des salles de cinéma. Le septième art est en effet au
centre de cette production, et plus particulièrement celui de la
glorieuse époque du film muet. Tous les dialogues de ce Singspiel
sont donc condensés et présentés comme des intertitres : les
chanteurs ne déclament pas leur texte, mais jouent tout de même
leur rôle, dans cette pantomime si typique du cinéma des années
1920. Pour accompagner la diffusion de ces dialogues, les metteurs en
scène ont choisi deux fantaisies pour piano du même compositeur
(n°4 en do mineur et n°3 en ré mineur), faisant ainsi de cet opus
un « film muet de Wolfgang Amadeus Mozart ».
Derrière eux, les décors appartiennent au monde de l’animation, rappelant les pionniers du genre (notamment les premiers Walt Disney). Entre BD moderne et animation quasi-centenaire, la production puise dans différentes époques et différentes formes artistiques, entremêlées avec cohérence. Le public s’y retrouve et entre dans un monde fantasmagorique, entre rêve et cauchemar : petites créatures mi animales, mi mécaniques, verre à cocktail géant, éléphants roses et papillons. À l’Opéra Comique, La Flûte enchantée retrouve un espace tel qu’il l’était lors de sa création au Theater auf der Wieden en 1791. Dans cette salle aux dimensions intimes, l’œuvre mythique de Mozart redevient conte onirique.
La Flûte enchantée par Barrie Kosky (© Iko Freesedrama-berlin.de)
Depuis la fosse
enterrée, le chef Kevin John Edusei lance l’Orchestre de l'Opéra comique de Berlin à l’assaut d’une ouverture rapide mais fluide,
présentant de belles nuances. Filmé et retransmis sur des écrans à
hauteur des chanteurs sur scène, il mène une couverture
instrumentale bien équilibrée, accompagnant un plateau vocal de
qualité. Pamina, devant être incarnée par Nadja Mchantaf, est
remplacée à la dernière minute par Vera-Lotte Böcker
(originellement au cast B). Cette dernière propose une princesse évoquant l’actrice Louise Brooks, au carré court et à la grande
expressivité faciale, malgré son mutisme lorsqu’elle ne chante
pas. Et lorsqu’elle chante, elle offre une voix puissante et
acidulée dans les aigus, faisant preuve d’une grande maîtrise de
son instrument, notamment à travers des passages pianissimi,
produisant des filets de voix cristallins. Sa performance est
accueillie par de chaleureux applaudissements des spectateurs
visiblement conquis.
Dominik Köninger (Papageno)
L’oiseleur
Papageno est à l’image de Buster Keaton, véritable personnage
comique, affublé d’un costume jaune lorsque les autres personnages
sont vêtus de noir et de blanc. Incarné par Dominik Köninger, il
est invariablement flanqué d’un chat noir, représentant son
esprit espiègle et joueur. La voix baryton de Köninger est chaude
et douce, tissu de velours adapté à ce personnage suscitant
tendresse et bonhomie. Le Tamino de Tansel Akzeybek brille moins que
son acolyte déluré, avec une voix serrée dans les aigus, plutôt
nasale et presque métallique. Continuant dans les références
culturelles, Monostatos devient le vampire Nosferatu (crâne allongé
et longues griffes de rigueur). Johannes Dunz n’est malheureusement
pas toujours audible, surtout dans les mediums et les graves, qu’il
garde en fond de gorge. Offrant un miroir à Papageno, il est
accompagné de chiens de garde, projetés ou membres de la troupe
coiffés de masques canins. La basse Wenwei Zhang est un Sarastro
barbu et portant le haut-de-forme, suivi par des choristes costumés
à l’identique. Le timbre chaud et résonnant au service de son
personnage, il montre un jeu parfois trop en deçà de celui de ses
compagnons chanteurs. Pour exprimer la puissance de l’orateur, sa
voix est par deux fois amplifiée sur les haut-parleurs, notamment
lorsqu’il est hors-scène, alors représenté par une figure
animée.
Wenwei Zhang (Sarastro) et Vera-Lotte Böcker (Pamina)
Christina Poulitsi
interprète une Reine de la Nuit à huit pattes : enveloppée
dans un cocon blanc, son corps devient celui d’une araignée
squelettique et démesurée. Dans ce costume, la soprano colorature
projette une voix claire et douce, mais ne peut pas du tout bouger.
Privée de tout artifice, elle ne peut donc compter que sur ses
expressions faciales (derrière un lourd maquillage et une coiffe
d’alien) et son instrument, qui ne manque néanmoins pas de
puissance. Elle interprète le célébrissime air avec de piquantes
attaques et produit de délicates vocalises tout en nuances. Son
interprétation est évidemment saluée par les applaudissements du
public. Le trio des dames formé par Nina Bernsteiner, Gemma Coma-Alabert et Nadine Weissmann sert dans cette production un rôle
essentiellement comique, et remporte son pari : l’équilibre
des voix est respecté, tandis que leurs simagrées déclenchent à
de nombreuses reprises l’hilarité du public.
Christina Poulitsi (La Reine de la Nuit) et Vera-Lotte Böcker (Pamina)
La Papagena incarnée par Martha Eason, également vêtue de jaune,devient quant à elle danseuse de cabaret, assouvissant enfin lesdésirs de l’oiseleur. Un dernier personnage se greffe à cettedistribution : la flûte enchantée elle-même. Représentée par une petite fée, elle virevolte dans les airs seins nus, suivie d’une traînée de notes de musique. Les membres du Chœur Arnold Schoenberg, tantôt à l’image de Sarastro, tantôt à la mode des années 1920, chantent principalement depuis les balcons attenants à la scène, leur conférant des allures spectrales. La représentation se termine alors sur une pellicule se consumant, arrivant indéniablement à la fin de la bobine.
Il ne reste que quelques places pour cette production, à saisir ici !
Tansel Akzeybek (Tamino)