Sonya Yoncheva plus vériste que jamais à Bordeaux
Sonya Yoncheva, l’une des sopranos les plus acclamées au monde, présentait ce dimanche un récital en hommage à Maria Callas, accompagnée du pianiste Antoine Palloc. L’occasion d’afficher l’étendue de sa tessiture, et notamment un registre grave impressionnant dans les airs de Dalila et Chimène, habituellement attribués à des mezzo-sopranos et qui figurent parmi les plus réussis de la soirée.
La première partie est dédiée au répertoire français, et à l’extraordinaire richesse de l’œuvre de Jules Massenet en particulier, seul un air extrait de Samson et Dalila s’intercalant entre des airs d’Hérodiade, Le Cid, Don Quichotte et Thaïs. Les aigus sont amples et charnus, un brin métalliques, portés par un vibrato large et rond. Les médiums sont riches et satinés : main tendue vers le public, elle prononce dans un excellent français « il est doux » (extrait d’Hérodiade) d’une voix aussi douce que son propos, faisant vibrer les cœurs. Dans « Pleurez mes yeux » (Le Cid), elle déploie une mélancolie vibrante et grisante. De sa voix bien projetée, elle inonde la salle du Grand-Théâtre de larges ondées, si belles. Belle éternellement, c’est d’ailleurs le souhait formulé par Thaïs, devant son miroir. Se déplaçant sur l’ensemble de la scène, Yoncheva offre une incarnation passionnée et passionnante. Avant d’entonner « Mon cœur s’ouvre à ta voix » (Samson et Dalila), pièce la plus étonnante du récital tant elle s’éloigne du répertoire habituel de la soprano, Yoncheva pousse un profond soupir : signe du défi auquel elle s’attaque. Le timbre caressant de ses graves sensuels et incandescents y font merveille et montre l'étendue des capacités de la cantatrice qui, non contente de tutoyer les sommets de la hiérarchie des sopranos, trouverait bien sa place dans celle des mezzos !
Après l’entracte (qui vient interrompre un récital pourtant relativement court), c’est le répertoire italien qui est à l’honneur : elle entonne d’abord un air extrait d’un opéra de jeunesse de Puccini : Le Villi, où elle laisse entendre un très suave mezzo-piano. Elle s’attaque ensuite à un « Casta Diva » (Norma) qui offre certes une démonstration de technique vocale, mais qui manque cruellement de nuances : elle chante comme à Bastille (où elle vient de terminer un Don Carlos superlatif avant d’entamer les répétitions de La Bohème à réserver ici), oubliant à quel point cet air nécessite de la subtilité pour laisser éclore toute sa richesse. Revenant à Puccini, elle interprète ensuite l’air de Mimi dans La Bohème et celui de Cio-Cio-San dans Madame Butterfly. Si sa voix a tant évolué depuis sa Leila (Les Pêcheurs de Perles) à l’Opéra Comique en 2012, c’est bien dans ce répertoire qu’elle s’épanouit aujourd’hui, mettant en avant sa puissance et ses accents dramatiques.
Antoine Palloc l’accompagne, un large sourire aux lèvres, affichant une complicité évidente avec la chanteuse, qui vient se blottir contre lui pour exprimer la tendresse de son personnage. Dans ses accompagnements, il suit les intonations et les variations de Yoncheva, prenant soin de rester au second plan. Lors de ses morceaux solistes, il montre la finesse de son toucher dans les parties les plus paisibles, mais se révèle plus pesant dans les passages les plus vifs.
Sachant se faire apprécier du public, elle interprète un premier bis, hommage à Paris dans lequel elle change les paroles pour déclamer son amour de Bordeaux. Puis, elle promet de déguster un verre de vin rouge local avant son second bis (« O mio babbino caro » extrait de Gianni Schicchi). Si après chaque bis, une partie plus large du public se lève pour l’acclamer, c’est une véritable standing ovation qui l’attend après son troisième bis, l’air de La Wally, magnifique tant dans son investissement scénique que dans sa performance vocale : la voix de Sonya Yoncheva est aujourd'hui dans son jardin dans le répertoire vériste !