Stravinsky, Strauss, Beethoven : le cadeau de rentrée au public nancéien
La soirée se divise en trois parties, débutant avec le Chant funèbre à la mémoire de Rimski-Korsakov, opus 5 de Stravinsky, se poursuivant avec les Quatre derniers Lieder pour soprano et orchestre de Richard Strauss, et se concluant par la célébrissime Symphonie n°6 en fa majeur, dite Pastorale, de Beethoven.
L'ouverture de la soirée avec le Chant funèbre composé en 1908 est paradoxalement une nouveauté. Rani Calderon rappelle au public à la fin de la représentation que la partition de l'œuvre n'a été retrouvée, par hasard, qu'en 2014 et jouée à nouveau qu'en 2016 au Théâtre Mariinski, soit 107 ans après sa création à Saint-Pétersbourg. Après une première hexagonale par l'Orchestre national de France en mars 2017, ce n'est que la seconde fois que l'œuvre est jouée en France. Le public n'a pas eu besoin d'attendre les éclairages du chef pour mesurer la chance qui lui est donnée d'entendre cette œuvre singulière. L'oreille de l'auditoire s'amuse à retrouver dans certains passages des sonorités qui rappellent Prince Igor de Borodine ou la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák et l'esprit se promène à travers les joyaux architecturaux de Saint-Pétersbourg.
La suite du programme quitte le froid climat pétersbourgeois pour accueillir la soprano Christina Nilsson et les Quatre derniers Lieder pour soprano et orchestre de Richard Strauss. Ces Lieder s'articulent autour de trois poèmes de Hermann Hesse et d'un dernier de Joseph von Eichendorff. Dans sa robe rose pâle à fleurs, Christina Nilsson célèbre avec le premier poème Frühling l'arrivée du printemps. Si sa posture est d'abord un peu hésitante sur scène, car elle scrute le public comme si elle attendait son approbation, la soprano se laisse ensuite envahir par la félicité véhiculée par le texte et sourit tout le long de son interprétation. Elle place des vibratos harmonieux sur certaines syllabes, et accompagne la joie du poème par sa gestuelle, joignant les mains sur la dernière strophe.
Le violon supersoliste n'a aucune difficulté à faire entendre le texte du deuxième Lied, September, ses coups d'archet communiquant au public l'image des feuilles de l'acacia qui tombent une par une (Golden tropft Blatt und Blatt/ Nieder vom hohen Akazienbaum), et la voix de Christina Nilsson met en lumière les beautés des assonances et des allitérations germaniques, roulant les r et prolongeant les diphtongues comme sur Augen. Sa ligne vocale souple rend grâce à la beauté du poème, qu'elle articule très distinctement, et l'impression d'infinie douceur du texte est véhiculée par la voix satinée de la soprano.
Suit le dernier poème de Hesse, Beim Schlafengehen (En allant dormir) et troisième Lied. Le souffle est un peu laborieux à la première strophe, le son plus haché, mais le public l'oublie vite car le reste du Lied est chanté avec la même grâce que les précédents, et la soprano embrasse toujours la salle du regard, ne se laissant pas décontenancer par la cacophonie d'une sonnerie de portable intempestive en plein milieu de la dernière strophe.
Christina Nilsson termine son récital par le Lied Im Abendrot (Au soleil couchant) poème de von Eichendorff. La ligne vocale est bien articulée, sans effort ni besoin d'ouvrir grand la bouche, le timbre est chaud et harmonieux, en particulier dans les aigus. La gestuelle est toujours en adéquation avec le sens du poème. L'inquiétude et l'interrogation se lisent sur le visage de la soprano lorsqu'elle termine d'égrener la dernière phrase, Wie sind wir wandermüde/ Ist dies etwa der Tod ? (Comme nous sommes fatigués d'errer/ Serait-ce donc la mort ?).
Le public applaudit chaleureusement Christina Nilsson après chaque Lied, avant une ovation finale de plusieurs minutes, conscient du cadeau qui lui a été fait par la soprano. Sereine et souriante, elle se mêle ensuite au public pour écouter la Pastorale sous la baguette de Rani Calderon, qui transmet à l'orchestre sa joie d'être là et de diriger l'œuvre pour conclure la soirée.