Felicity Lott au musée d’Orsay : « Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse »
Cette citation célèbre d’Alfred de Musset donne lieu à un choix d’œuvres très varié, de pays et d’époques différents. Ainsi se côtoient des poèmes de Baudelaire, Rimbaud, Rückert et des textes de chansonniers comme Jacques Brel ou Boby Lapointe. S’enchaînent des mélodies, des Lieder, des airs d’opéra et d’opérettes, des chansons, et des pièces pour piano seul. Il y est question d’ivresse quelques fois amoureuse et souvent bacchanale.
L’interprétation dynamique de la 1ère Gnossienne d’Erik Satie donne le ton : dynamisme dû au tempo allant, mélancolie des phrases répétitives et humour évoqués par la brièveté des appoggiatures.
Felicity Lott s’avance majestueuse dans une robe de soie sauvage rose tyrien pour L’Invitation au voyage de Duparc. Sa parfaite diction frappe immédiatement, seuls les t ou les d faisant passer un peu d’air rappellent les origines anglaises de la chanteuse. Elle déploie sa voix dans un phrasé tout en retenue, dans une nuance subtile, ne dépassant jamais le mezzo forte. Le poème de Baudelaire est habité même quand un trou de mémoire sur le mot « mystérieuse » déclenche un petit sourire de la chanteuse.
La soprano et le comédien se succèdent régulièrement sur le devant de la scène, enchaînant les textes et les musiques, laissant à peine le public applaudir. Alain Carré, à la voix richement timbrée et à la déclamation claire et classique, est soutenu par une sonorisation qui provoque un léger décalage d’intensité avec la chanteuse.
C’est le soir, extrait de l’opéra-comique Belle Lurette d’Offenbach met en scène une blanchisseuse qui devient Comtesse et qui entend faire valoir ses droits à l’amour. L’interprétation de Felicity Lott est un fin mélange de théâtre et de chant : chaque début de phrase dans le médium, proche de la déclamation, se développe vers une émission chantée jusqu’aux tenues finales très douces.
Après Enivrez-vous de Baudelaire, L’Île heureuse de Chabrier est une nouvelle évocation du voyage vers des « pays de volupté ». La cantatrice fort scrupuleuse de l’intelligibilité du texte, définit précisément les voyelles et notamment les nasales propres à la langue française. Virtuose dans la nuance piano, la chanteuse interprète Phrases, extraite des Illuminations de Britten sur des poèmes de Rimbaud, dans une extrême douceur. Elle achève cette page musicale sur un aigu tenu pianissimo invitant le public à une profonde contemplation.
Si Felicity Lott excelle dans la retenue et les sons filés, elle est moins convaincante quand il s’agit d’élans passionnés. Widmung de Schumann et sa conclusion radieuse laisse le public sur sa faim par une interprétation très sage. Dans une volonté d’atténuer les crescendi et d’éviter des sons trop projetés, la soprano déplace son émission plus à l’arrière, perdant l’accroche dans le masque et le brillant qui en résulte. Dans Extase de Duparc, les promesses de phrases n’aboutissent jamais sur un son plein et puissant, ce qui n’altère toutefois pas l’intelligence musicale de l’artiste.
Le récital s’achève sur un ton léger et humoristique. Le comédien est époustouflant de virtuosité en débitant à grande vitesse les jeux de mots dans le Débit De L'eau Débit De Lait de Francis Blanche ainsi que Ta Katie t’a quitté de Boby Lapointe déclenchant le rire du public et des deux artistes restées sur scène. L’humour, Felicity Lott n’en est pas dépourvue quand elle chante l’air de la griserie extrait de La Périchole d’Offenbach. La cantatrice, "so british" est irrésistible avec ses gestes gauches quand elle se prend les pieds dans sa robe, ses mimiques drolatiques jamais appuyées. Elle recueille une ovation du public et offre en bis, après avoir confié qu’elle ne buvait jamais d’alcool (malgré ce programme enivrant), Les chemins de l’amour de Poulenc.