To be or not to be !
Retrouvez notre compte-rendu de la première soirée du weekend d'après Shakespeare à la Philharmonie.
A l’occasion des quatre cents ans de la mort de Shakespeare trois artistes ont imaginé la rencontre du dramaturge et du compositeur Henry Purcell : Vincent Dumestre (musicien), Vincent Huguet (metteur en scène) et Ivan Alexandre (écrivain). Deux voix, celle d’un comédien (Geoffrey Carrey) et celle d’un contre-ténor (Nicholas Tamagna), entourées d’un orchestre (le Poème Harmonique) reprennent cette question posée il y a déjà plusieurs siècles : de la musique ou des mots, qu’est-ce qui est le plus important ?
Vincent Dumestre (© Per Buhre HD)
Cette question est lancée dès le début du spectacle : l’acteur entre en avant-scène répétant la célèbre tirade, et le chanteur chauffant sa voix. Ils sont tous deux sonorisés grâce à un micro HF. Deux générations vont ici s’affronter : l’une représentée par un comédien en veste de velours défendant le théâtre et l’autre par un chanteur en sweat ouvert sur un tee-shirt David Bowie, défendant la musique. Commence alors un dialogue, durant lequel ils tentent de se convaincre l’un l’autre à coups de songs du compositeur Henry Purcell et de scènes théâtrales extraites de pièces de Shakespeare.
Il n’est pas aisé de trancher lorsque les mots de Shakespeare, « if music be the food of love », sont soit déclamés soit chantés. La musique de Purcell est si expressive qu’elle permet au contre-ténor d’utiliser une grande palette sonore allant de sons presque dits à de belles envolées de phrases d’un timbre ample et sonore. Dans la bouche du comédien, les mots d’une expressivité étonnante deviennent musique. Les deux protagonistes d’origine américaine soignent un anglais impeccable !
Seule exception au programme musical de Purcell : l’air « to bee or not to bee » de Cesare Morelli. Le chanteur s’engage entièrement dans cet air-récit en collant au plus près du texte, mais lorsque le comédien reprend la scène, la force des mots et son interprétation haute en couleurs vocales confirment que le génie théâtral n’est pas à la portée de tout un chacun.
Le contre-ténor Nicholas Tamagna (© Marielle Solan)
Le rideau s’ouvre alors, et l’orchestre apparaît sur fond bleu baigné dans une lumière dorée réalisée par Bertrand Couderc. L’ensemble dirigé de son tabouret par Vincent Dumestre interprète une chaconne de Purcell, révélant une belle sonorité aux couleurs riches et au phrasé très précis. A la gloire de l’Angleterre, le chanteur interprète « Fairest isle », extrait de King Arthur, à un tempo très allant impulsé par le chef. Le contre-ténor très à l’aise dans la partie aiguë de sa voix demandant un certain engagement physique, fait entendre un vibrato très rapide dans le médium mettant en péril la justesse dans les fins de phrases. Le comédien déclame l’extrait de Richard II avec tant d’ardeur que l’orchestre se lève d’un seul homme au son de « vive la Grande Bretagne ! »
Des extraits de Macbeth et de Didon et Enee évoquent l’univers surnaturel tant prisé à cette époque. Le chanteur, convaincant en sorcière, se déplace agilement et dégage une puissance sonore impressionnante sans toutefois jamais altérer le timbre.
Le célèbre « Cold song » du semi opéra King Arthur, est interprété dans un tempo si rapide que les notes répétées chantées avec un trémolo évoquent un halètement grelottant n’offrant pas toujours une bonne définition de la hauteur des sons. Cependant Nicholas Tamagna déploie généreusement sa voix sur les deux points culminants de l’air et termine par un puissant son de poitrine sur le mot « death ».
Fin du concert, après de nombreux échanges, les deux artistes s’accordent à nous dire qu’ils parlent de la même chose, que la musique et les mots peuvent se répondre. Pour fêter cette touchante réconciliation rien de tel qu’une bonne bière à la taverne de « King Arthur » ! Et les voila tous, chanteur, acteur et instrumentistes entonnant à l’unisson la chanson à boire « your hay it’s mow’d ». Le public ravi applaudit chaleureusement « le musicien des mots et le poète des sons ».