Jessica Pratt rend hommage à La Callas dans Lucia di Lammermoor au TCE
Le Théâtre des Champs-Élysées inaugure sa saison 2017/2018 avec une soirée donnée en hommage à Maria Callas. Quarante ans après sa mort, la diva hante toujours le rôle de Lucia, qui continue de fasciner et de révéler les plus grandes sopranos colorature (Sonya Yoncheva ou plus récemment Pretty Yende, qui nous en parlait en interview). Roberto Abbado mène la danse à la tête de l'Orchestre national d’Île-de-France et l'Ensemble Lyrique de Champagne Ardenne. Avant que la première note ne soit jouée, le TCE tient à remercier Luca Salsi et Riccardo Zanellato d'avoir accepté de remplacer Gabriele Viviani et Ugo Rabec au pied levé dans les rôles d'Enrico et de Raimondo. Ils sont applaudis par une salle presque comble.
Roberto Abbado (© DR)
Dans le rôle-titre, la soprano anglo-australienne Jessica Pratt ravit le cœur du public. Sa connaissance de la partition lui permet de vivre son personnage sans pour autant se reposer sur une mise en scène : elle se déplace et utilise tout l'espace à sa disposition (s'appuyant par exemple sur le garde-corps de l'estrade du chef d'orchestre). Vêtue d'une robe noire et couverte d'une étole bleu turquoise satinée, Pratt se montre très à l'aise en Lucia : ses vocalises sont souples et agiles, ses attaques précises. Elle offre une grande palette de couleurs à ce personnage tourmenté : tantôt rêveuse, elle devient soudainement sanglante au détour d'une mesure. Pendant les tutti, sa voix perce et se fait toujours perceptible. Elle produit d'intenses crescendi et decrescendi, nourrissant de profondes nuances. Ses pianissimi restent toujours audibles, tandis que ses fortissimi semblent ne lui demander aucun effort. Ses aigus sont d'une extrême finesse, produits bouche grande ouverte et souriante. La soprano ne fait plus qu'un avec ce rôle qu'elle a tant de fois interprété, restant dans son personnage sans faillir, sauf au moment des applaudissements enchantés d'un public conquis.
Jessica Pratt (© Luis Condrò)
L'air de la folie est un somptueux mets que les spectateurs attendent avec délectation, se retrouvant suspendus aux murmures amoureux et aux vocalises de rossignol de la soprano. La tension est palpable et un silence religieux s'installe. Sans jamais surjouer l'état de démence qui s'empare de Lucia, Jessica Pratt semble tour à tour pleurer et rire. Elle varie les intonations, se faisant parfois orageuse, parfois lumineuse. Ce mélange d'émotions (laissant le public sur le bord de son siège) rend parfaitement la folie du personnage. Le dialogue qu'elle entreprend avec la flûtiste n'est pas des plus précis mais il ne perd pas en beauté, sans aucune direction du chef Abbado, qui laisse la magie opérer entre les deux musiciennes.
Paolo Fanale interprète pour la première fois Edgardo, amant troublé et ennemi de Lucia et son frère. A côté d'une telle performance, celle du jeune ténor laisse quelque peu sur sa faim. Se raccrochant à sa partition, son jeu scénique est limité, et l'interprétation semble presque scolaire. Les aigus sont justes mais souvent forcés, ce qui ne permet pourtant pas de distinguer sa voix par dessus l'orchestre ou pendant le sextuor. Le dernier air en revanche remporte une salve d'applaudissements, le ténor exploitant enfin une variété de nuances, dont de très doux piani.
Paolo Fanale (© Piero Lazzari & Pietro Spagnoli)
Les autres stars de cette soirée d'ouverture sont sans aucun doute les remplaçants Luca Salsi et Riccardo Zanellato. Le baryton incarne un Enrico convaincant, autoritaire, au vibrato serré. Ses aigus acérés et sonores sont contrastés par un timbre généralement chaud, presque mielleux lorsqu'il s'adresse à Lucia. Sa mine renfrognée (sourcils froncés) tout au long du concert aurait éventuellement pu être abandonnée au profit d'autres émotions faciales. Au contraire, la basse utilise une large palette d'expressions, et ce même pendant l'air de la folie (où il ne chante pas mais observe Lucia). Sa diction est très articulée, ses « r » sont roulés et sonores. Il apporte une grande profondeur au rôle de Raimondo : accompagnée d'un large vibrato, sa voix de velours devient une couverture enveloppant le public.
Luca Salsi (© DR)
Trois jeunes chanteurs sont également présents pour leur prise de rôle, et n'ont pas à rougir face à leurs partenaires plus aguerris : Kévin Amiel (Normanno) et Xabier Anduaga (Arturo) se montrent très prometteurs. Leur interprétation est juste, la voix acérée mais jamais forcée : deux ténors à suivre. A leurs côtés, Valentine Lemercier produit des graves manquant un peu de puissance (depuis un fond de gorge serré) mais de très beaux aigus bien clairs.
Derrière ce brillant plateau vocal, l'Orchestre national d’Île-de-France et l'Ensemble Lyrique de Champagne Ardenne ne sont pas en reste. Les solistes (harpe, flûte traversière et violoncelle) apportent ce qu'il faut de virtuosité à l'ensemble. Les choristes, assis derrière les musiciens, se lèvent pour chanter, tenant alors leur rôle de conteurs et acteurs de la tragédie. Roberto Abbado mène le tout avec de petits gestes précis, qui se font plus amples pour les chanteurs, jusqu'aux applaudissements et aux bravi d'un public ravi.