Trilogie Figaro à Genève : L'ingénieux et absurde Barbier de Séville
Ouverture donc sur la pièce la plus burlesque de la trilogie, Le Barbier de Séville, mis en scène par Sam Brown sous la direction musicale de Jonathan Nott. Mélodrame comique, ou opéra buffa en deux actes, d’après la comédie révolutionnaire de Beaumarchais, la sagesse et les crescendi de Rossini font merveille avec une pointe d’humour british, où l’absurde rime avec le grotesque.
Judicieux choix que celui de la mise en scène (un peu le début d'une blague belge, ou plutôt suisse) : imaginez un dîner entre un Italien de la commedia dell'arte, un Français de la République, un Anglais des Monty Python, et comme maîtresse de table une Espagnole bien caractérielle. Un « melting pot » moderne, revisité à la sauce Broadway qui ne laisse guère le temps de réfléchir tant le sens de l’humour du spectateur est mis à contribution.
Dès l’ouverture, il est évident qu’il va falloir se libérer de l’héritage de l’Opéra. Jonathan Nott, subtile et juste, dialogue à merveille avec l’Orchestre de la Suisse Romande. Une jeunesse qui se caractérise par une gestuelle de conteur complice, souffle de modernité loin de la lourdeur de certaines interprétations passées. Le rideau orné d’un cœur kitsch percé d’une flèche se lève et annonce ainsi un décalage entre la sagesse de l’opéra et la plébéienne opérette, qui se met en place habillement. Plus ouvert, plus jeune et plus fou, le Barbier de Séville s’amorce. Il présente la revendication égalitaire de la commedia buffa, fidèle à Beaumarchais et son théâtre démocratique : « Notre musique dramatique ressemble trop encore à notre musique chansonnière pour en attendre un véritable intérêt ou de la gaîté franche. Il faudra commencer à l’employer sérieusement au théâtre quand on sentira bien qu’on ne doit y chanter que pour parler. » Beaumarchais
Ici,le pacte est conclu, il narre vivement, peint la passion, avec la vitesse de notre époque. Le décor est efficace, deux grands panneaux de métal, rotatifs et un mobilier essentiel à la narration : balcon à sérénade, porte pour les entrées en trombe, échelle pour les fuites et banc multi-fonctions.
De grands panneaux recto-verso tourbillonnent, poussés par les acteurs et suggèrent habillement des scènes intérieures-extérieures. Sam Brown brille d’inventivité, par des détails facétieux et inventifs, proche d’un Terry Gilliam (qui met en scène Benvenuto Cellini à Paris dans quelques mois) atterrissant sur une scène à Broadway. Le spectateur rie, se laisse porter par les ruses compliquées qui tissent cette histoire d’amour, orchestrée par l’extravagant Barbier Figaro.
Heureuse surprise de cette pièce : aucun personnage n’est laissé pour compte, chacun des protagonistes incarnant son rôle pleinement, une harmonie règne sur scène. Un jusqu’au-boutisme qui convainc dans le grotesque théâtral mais dépasse peut-être Rossini et sa musique. Figaro, incarné par Bruno Taddia (déjà remarqué en Gianni Schicchi en fin de saison dernière à Montpellier), baryton puissant, juste et fidèle à la folie de la pièce est convaincant. Né à Pavie, sa diction parfaite de l’italien lui permet une maîtrise scénique et une exactitude musicale remarquée. L’illusion théâtrale est là : tout lui semble naturel et facile, il s’amuse de cette connivence et charme l’auditoire avec succès sur son « Largo al factotum ».
Bogdan Mihai, ténor ayant commencé sa carrière avec le rôle du Comte Almaviva retrouve ici le plaisir de le jouer, se travestissant tout au long de la pièce. Figure poupée-russe, il s'amuse de cette familiarité, avec précision. L’auditoire pourra cependant lui reprocher un manque de souffle et une voix parfois étouffée sous l’orchestre et l’attente des crescendi de Rossini.
Bartolo, baryton et fort personnage de la pièce rayonne ici. Chauve à perruque ridicule et guêtres blanches, son costume trois pièces est trop grand pour sa petite taille, mais non pour sa voix. Bruno de Simone s’octroie ainsi une place remarquée, au centre de la pièce, proche d’un Don Salluste à la de Funès.
Accompagné de son compère aveugle Basile, pour jouer à « la calomnia », le duo comique sonne juste, tant musicalement que théâtralement. Habillé en mélomane des années 90, la basse Marco Spotti amuse avec sa voix sombre et bien dessinée, sa présence étourdie, accompagné de son chien d’aveugle.
On espérait voir la belle Lena Belkina graciée de cette folie, mais peut être est-elle un peu trop « défraîchie ». Jouant la fausse chasteté et la ruse, elle se languit, désabusée et sûrement trop mature pour ce rôle. Un manque d’innocence, certes, mais une habileté musicale pour cette mezzo-soprano qui a déjà joué Rosine auparavant. Peut être voulait-elle faire évoluer ce rôle à la mesure du burlesque omniprésent.
Heureuse surprise que la délicate Mary Feminear, qui interprète Berta, femme de chambre à la Almodovar, chausson de fourrure et robe courte, bandeau kitsch dans les cheveux, croix de la madone au cou, cigarette greffée en bouche. Un dessin d’une autre femme enfermée par Bartolo, dont la voix est le seul rafraîchissement, aiguisée, fine et puissante : son interprétation d’ « Il vecchiotto cerca moglie » coupe le souffle.
Pour conclure : le choix de la fraîcheur a été fait pour cette pièce tant jouée, mais le vent de modernité était-il peut être trop décoiffant, emportant avec lui les subtilités implicites au Barbier de Séville