Sage Veuve joyeuse de rentrée à Bastille
L’Opéra de Paris faisait sa rentrée ce samedi avec la Veuve joyeuse de Franz Lehar, dans une mise en scène créée par Jorge Lavelli voici 20 ans. Elle place l’intrigue dans un décor grandiose et parqueté (signé Antonio Lagarto), avec de nombreuses portes permettant un enchaînement vaudevillesque des scènes. Les beaux costumes de Francesco Zito et les cancans et danses slaves chorégraphiés par Laurence Fanon sont là pour apporter le luxe d’ambassade qui sied à l’esprit de l’œuvre (seul l’air des grisettes, traité avec cynisme, en perd son charme). Tous les ingrédients d'un spectacle réjouissant sont donc ici réunis. Mais comme si la rentrée avait eu lieu trop tôt, le résultat final manque de précision dans de nombreux domaines : des décors révélés par avance (une fenêtre cachant un ange noir s’ouvrant avant le final), des chœurs peinant (une fois encore) à se mettre à l’unisson, des solistes en décalage avec la fosse ou prononçant un texte approximatif (perdant au passage le responsable des surtitres). Ces défauts seront probablement gommés au fil des 15 représentations, ce qui ne sera pas le cas de l’amplification des récitatifs qui permettent certes aux solistes de jouer en fond de scène ou bien de dos, mais qui font perdre à ces passages leur naturel.
La Veuve joyeuse par Jorge Lavelli (© Guergana Damianova)
Le chef Jakub Hrůša, qui avait débuté in loco dans Rusalka en 2015, n’est pas un spécialiste de l’opérette et cela s’entend. Les tempi choisis, trop sages, sont constamment en-deçà de ce que réclame la musique, pourtant volontiers virevoltante et portée par des chanteurs aux pas chorégraphiés avec un réjouissant humour. Le cancan final (dansé sur une partie de l’ouverture transplantée en fin d’œuvre), égaie tout de même la soirée. Sa direction ne manque pourtant pas de qualités dans les parties plus douces, dans lesquelles il trouve un son suave et pénétrant. Le fameux duo « Heure exquise », accompagné de vibrants violoncelles, est ainsi très réussi, déclenchant la salve d’applaudissements la plus enthousiaste de la soirée.
Véronique Gens dans La Veuve joyeuse (© Guergana Damianova)
Le rôle-titre est incarné par Véronique Gens, qui prête au personnage d’Hanna Glawari son élégance et son jeu pétillant. Sa voix, délicatement vibrée, offre un son flûté et pointu. Son volume est toutefois insuffisant pour remplir la salle gigantesque de Bastille, ce qui la limite fortement en termes de nuances : il manque dès lors le petit quelque chose qui rend une prestation réellement réussie, d’autant qu’elle n’est pas exempte de tout reproche quant aux manques de précision observés, et qu’elle n'est pas parvenue à émettre l’aigu final de son air « Es lebt’eine Vilja ».
Véronique Gens et Thomas Hampson dans La Veuve joyeuse (© Guergana Damianova)
De son côté, Thomas Hampson dispose du charisme et du flegme séducteur qui caractérise son personnage de Danilo. Formidable comédien, il éclaire la scène à chaque intervention, offrant une diction claire et appuyée. Le brillant de ses aigus repose sur un solide ancrage. Sa voix, très chargée en air, est moelleuse et vigoureuse, parfois un brin forcée toutefois. Il forme avec Gens un duo cohérent et convaincant, tant d’un point de vue théâtral que musical.
Valentina Nafornita et Stephen Costello dans La Veuve joyeuse (© Guergana Damianova)
José van Dam devait initialement incarner le Baron Mirko Zeta. Franck Leguérinel, qui l’a remplacé quelques jours avant la Première (et qui n’était plus revenu à l’Opéra de Paris depuis 2010), remplit parfaitement son office. Son jeu de comédien, qui en fait un interprète de référence dans le répertoire comique, est ici mis à contribution : derrière sa barbe grisonnante, il multiplie les moues satisfaites, étonnées ou contrariées. Son épouse Valencienne est incarnée par Valentina Naforniţa : qui d’autre aurait pu produire aussi bien la coquette minauderie de cette dame qui chante qu’elle est une femme comme il faut, dans les bras d’un amant auquel elle interdit de demander la main de celle qu’elle lui ordonne d’épouser...? Son jeu gracieux s’accorde à sa voix colorée et scintillante, comme les notes du glockenspiel qui l’accompagne. Descendant dans des piani qui ne laissent échapper qu’un fin filet de voix, elle montre également une belle générosité dans les passages plus lyriques. Son amant, Rosillon, est chanté par le ténor Stephen Costello, qui fait à cette occasion ses débuts dans la maison après avoir fréquenté assidûment le Met et le ROH. Il offre une très belle prestation, bien qu’un peu raide dans son jeu scénique, grâce à sa voix vaillante au timbre brillant, légèrement métallique, et aux aigus bien projetés et bien tenus. Son air « Wie eine Rosenknospe » est chanté avec une belle musicalité et un legato savant.
La Veuve joyeuse par Jorge Lavelli (© Guergana Damianova)
Parmi la pléiade de personnages secondaires, il convient de citer Alexandre Duhamel (qui nous a accordé une interview à l’occasion de cette production) en Cascada, qui déploie une grande énergie dans le jeu et une voix large et joliment vibrée pour un rôle manifestement trop étriqué pour lui. Son rival, Saint-Brioche, est chanté par Karl-Michael Ebner, lui aussi convaincant avec sa voix âpre de ténor barytonant. En sortant (voire même pendant le spectacle pour certains), le public chantonne les airs de l’opéra : La Veuve joyeuse reste une bulle de champagne à savourer pour célébrer cette rentrée. Santé !
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