Daniel Kawka porte le Requiem de Verdi à la Chaise-Dieu
La soirée débute par la traditionnelle ouverture casadéenne (de la Chaise-Dieu) des concerts au grand orgue (ce soir Pierre du Mage, 1674-1751 qui sort le Grand jeu dont certaines harmonies et conduites de voix descendantes résonnent étonnamment avec le Requiem de Verdi à venir).
Daniel Kawka avait époustouflé à la direction du Lohengrin concluant la saison de Saint-Étienne, il laisse à nouveau l'auditoire exsangue d'admiration devant sa figure de colosse, guidant des murmures d'un doigt, agitant des tempêtes d'un claquement de baguette. Il sait emporter et retenir les tempi à bon escient, laissant à chaque effet sa pertinence dramaturgique.
Les interprètes de ce Requiem sont les bien-nommés Orchestre et Chœur symphoniques Giuseppe Verdi de Milan. Le feulement introductif des violoncelles repris par les violons et les chœurs susurrés coupe d'emblée le souffle du public. Les bois sont tendres, les cuivres délicats et fondants. Les instruments passent un subtil relais au chœur en voyelles chaudes et rondes, sans chuintantes ni sifflantes, sans attaques d'archet ni de lèvres. Les triples piano au merveilleux seuil de l'imperceptible se déploient dans les mouvements fugués, les 70 choristes sonnant parfaitement ensemble, tel un quatuor. Les sons de l'orchestre sont tenus jusqu'à l'ultime seconde de la neige poudreuse du timbalier avant le tonnerre sec, au rythme effréné du Dies Iræ. Leur résonance et l'effet auraient été parachevés par l'excellente idée de spatialiser les trompettes, si leur justesse avait été au rendez-vous.
Chiara Taigi, Maria Chiuri, Azer Zada et Evgeny Stavinsky (© Bertrand Pichène)
Inspirée par la révélation mystique de l'œuvre et du lieu, Chiara Taigi finira le concert les maints jointes sur le crucifix de son collier après avoir proposé un soprano sinusoïdal, vibrant comme ses lèvres. L'investissement de l'alto Anna Maria Chiuri est indéniable. Très à l'aise à la cave de son registre, sa mine ombrageuse tire la messe des morts vers sa part sinistre, avec sons engorgés et cravatés, bien que surarticulés.
Au début de la soirée, le directeur du Festival, Julien Caron, annonce que le ténor Antonio Gandia est remplacé par l'azéri Azer Zada –programmé la saison prochaine en Rodolfo (La Bohème) et Pinkerton (Madame Butterfly) à La Fenice de Venise. Avec la modestie d'un substitut, le ténor reste peu audible et peu articulé, conservant par-devers lui la projection et les harmoniques, hormis sur les voyelles fermées qu'il sait faire résonner dans une bouche sphérique presque fermée. La basse Evgeny Stavinsky est l'interprète le plus sonore dans et en dehors des ensembles. Son Mors stupebit est glaçant, ténébreux, suspendant ses phrases et le souffle de l'assistance.
Le public ovationne cette démesure de moyens et d'effets orchestraux, idéale pour le Requiem de Verdi, surnommé "opéra en robe ecclésiastique".