Elektra électrique au Verbier Festival
En ce jeudi soir, le Verbier Festival dévoile l’une de ses cartes maîtresses : Elektra
Esa-Pekka Salonen dirige Elektra (© Aline Paley)
Le chef Esa-Pekka Salonen offre une battue détendue, mais immensément claire et précise, permettant aux jeunes musiciens d’offrir le meilleur de leur talent déjà grand, et de transcender la partition. La matière orchestrale définie par Strauss est intense et colorée. Les trombones portent une teinte sombre, les cordes sont tranchantes et obstinées et les timbales sont percussives et percutantes. Les appels de trompettes plaquent le spectateur au fond de son siège tandis que les hautbois chantent d’un ton moqueur. Le tutti
Lise Lindstrom chante Elektra (© Nicolas Brodard)
Le rôle-titre échoit à Lise Lindstrom, dont la voix parvient à garder son intensité et sa fraîcheur tout au long de son marathon vocal (Elekra ne quitte pas la scène depuis sa première intervention jusqu’à la fin de l’opéra). Sa voix enveloppante et longue en souffle s’agite d’un vibrato court et rapide. Ses aigus violents et tranchants comme la hache qui doit immoler sa mère, sont projetés avec vigueur. Si son jeu théâtral est convaincant dans cette version concertante, il lui manque toutefois le grain de folie qui marque les interprétations les plus mythiques. Son chant s’ouvre malgré tout à de nouvelles couleurs, accentuant son legato, lorsqu’elle feint la gentillesse auprès de sa mère puis de son beau-père. De même, lorsqu’elle parle à son frère tant aimé, son phrasé s’arrondit, se faisant plus caressant.
Lindstrom, Brimberg et Larsson dans Elektra (© Nicolas Brodard)
C’est Ingela Brimberg qui interprète le rôle de sa sœur, Chrysothémis. Elle parvient à maintenir la tension dramatique durant son imposant monologue, rarement couverte par l’imposant orchestre, dans une complainte puissante et chargée d’humanité, aux accents dramatiques. Elle rend parfaitement l’indécision du personnage, hésitante entre sa sœur vengeresse, sa mère autoritaire et ses propres désirs de liberté. Lorsque la libération intervient à la mort de sa mère, elle livre une intervention d’une grande intensité, apothéose de sa prestation.
Ingela Brimberg dans Elektra (© Nicolas Brodard)
Sa mère, Clytemnestre, est chantée par Anna Larsson (future Geneviève dans Pelléas et Mélisande à l'Opéra de Paris), dans une robe rouge sang. Elle dévoile des graves sépulcraux enfermant un phrasé autoritaire. Moins habitée par son personnage que ses collègues, elle ne parvient pas aussi bien à suspendre l’auditeur à ses lèvres. La tension se réaffirme toutefois durant son dialogue avec sa fille Elektra, portée par un texte d’une noirceur sans égal (Elektra feint de lui apporter son aide pour la libérer de ses angoisses, avant de lui indiquer que le remède en sera son supplice), et une orchestration aux mille couleurs.
Eric Owens dans Elektra (© Nicolas Brodard)
Remplaçant Thomas Hampson, Eric Owens interprète le rôle d’Oreste. Son intervention, malgré sa courte durée, marque les esprits par la richesse exceptionnelle de son timbre et la largesse de sa voix volumineuse. Pour sa part, Égisthe prend la voix du ténor wagnérien Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (il est notamment une référence dans le rôle de Mime dans la Tétralogie
Idunnu Münch, Anastasiia Sidorova, Bethan Langford, Aleksandra Rybakova dans Elektra (© Nicolas Brodard)
Le reste de la distribution est tenue par des jeunes de l’Académie : les servantes sont encore tendres pour s’attaquer à ce répertoire, manquant encore de volume, mais leurs belles voix aux aigus poignants se révèlent prometteuses. Les deux voix masculines sont plus généreuses et offrent des phrasés autoritaires. Les jeunes artistes de l’Académie, ainsi que les chanteurs et le chef invité, passent le public à la lessiveuse, option essorage rapide : le génie straussien est ainsi bien servi !