Les rares Iolanta et Perséphone scintillent à Aix
La reprise a rencontré le même succès que la production originale en 2012, lors de sa première au Teatro Real de Madrid. Il s’agit là de deux œuvres rares sur les scènes françaises qui sont offertes au public aixois. Iolanta est l’ultime opéra de Tchaïkovski, créé en même temps que le ballet Casse-Noisette (c’est d’ailleurs dans ce programme originel que l'oeuvre sera représentée à l’Opéra de Paris en 2016 avec Sonya Yoncheva dans le rôle-titre), et demeurant peu donnée en dehors de Russie. L'opéra narre l’histoire d’une princesse aveugle, maintenue dans l’ignorance de son affliction par son père, le roi René, au point qu’elle est persuadée que « les yeux ne servent qu’à pleurer ». Grâce aux soins d’un docteur maure et à l’amour du Comte de Vaudémont, elle finit toutefois par recouvrer la vue.
Perséphone de Stravinsky par Peter Sellars (© Pascal Victor)
Perséphone est une œuvre plus rare encore. Issue de la période néo-classique de Stravinsky, il s’agit d’un mélodrame, au sens donné à ce terme au début du XIXe, c’est-à-dire une œuvre dramatique accompagnée de musique. André Gide y a réimaginé le mythe grec, faisant de la fille de Déméter non plus une victime passive d'Hadès, mais une participante volontaire mue par la compassion. Le Festival d’Aix-en-Provence inaugure ainsi un cycle Stravinsky qui devrait s’étendre jusqu’en 2017. La récitante du rôle-titre est l’actrice Dominique Blanc (Milou en Mai, Ceux qui m’aiment prendront le train, Indochine). Elle est accompagnée par une compagnie de danseurs cambodgiens, et par la seule voix lyrique de l’œuvre, celle du ténor Paul Groves.
Peter Sellars livre ici une vision épurée des deux œuvres. Les deux pièces utilisent le même décor hiératique : quelques portiques antiques, sur lesquels sont hissées des sculptures aux formes ésotériques. Une dynamique est créée par le savant jeu de lumière de James F. Ingalls et les changements de la fresque en arrière-plan, qui font écho à la dramaturgie (tons rougeoyants pour la descente de Perséphone aux enfers, lumière obstruée pour la prise de conscience par Iolanta de sa maladie, etc.). Dans Iolanta, l’interpolation de l’hymne des chérubins de Rachmaninov juste avant la guérison finale de l’héroïne met en avant la dimension religieuse de l’œuvre. A travers cette lecture, l’aveuglement n’est pas qu’une affliction physique mais une défaillance spirituelle. Quant à Perséphone, Sellars en fait une parabole sur l’engagement politique.
Iolanta de Tchaikovski par Peter Sellars (© Pascal Victor)
Le triomphe de la vision de Peter Sellars tient pour beaucoup à la réussite musicale du spectacle. En effet, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon est dirigé à la perfection par le jeune prodige qu’est Teodor Currentzis. Sur scène, la distribution est parfaitement à la hauteur de la fosse : Ekaterina Scherbachenko est une Iolanta rêvée, gracieuse et sensible, au timbre velouté et à la musicalité irréprochable. L’indisposition annoncée d’Arnold Rutkowski s’est à peine ressentie dans son Vaudémont. Quant aux deux grands rôles de basse, ils sont assurés avec brio par Dmitry Ulianov (le Roi René) et par le grand Willard White, qui conserve toute sa superbe et impressionne. Ceux qui ne peuvent pas se rendre à Aix auront une nouvelle chance de découvrir le spectacle en mai 2016 à l’Opéra de Lyon dans la même distribution.
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