Viva la Mamma à Lyon : une bonne bouffe !
La saison dernière, l’Opéra de Lyon et Laurent Pelly redécouvraient ensemble le Roi Carotte d’Offenbach, redonnant à l’œuvre une visibilité méritée. En cette fin de saison, c’est au tour de Viva la Mamma de Donizetti de subir le même traitement (détail amusant : le ténor y est d’ailleurs traité de tête de navet, comme une référence à l’opus de la saison dernière). De fait, l’opéra méconnu du compositeur n’a rien à envier à Don Pasquale, tant dans la construction dramatique que dans la partition jubilatoire et virtuose. Composée un an avant l’Elixir d’amour, l’œuvre qui suit les répétitions d’une création d’opéra, reste sous influence rossinienne, mais son pouvoir comique est indéniable, pour peu que le rôle-titre soit tenu par un chanteur aux grandes qualités de comédien. Sorte de Madame Doubtfire, ce personnage féminin (la mère de l’une des chanteuses de la troupe) est en effet interprété par un baryton qui finit par remplacer dans l’œuvre le contre-ténor interprétant lui-même un rôle de femme. Ce quadruple travestissement donne lieu à d’innombrables comiques de situation et de parodies, que Laurent Naouri (à retrouver ici en interview) parvient à transcender.
Laurent Naouri et Pietro di Bianco dans Viva la Mamma (© Bertrand Stofleth)
Ce qui rend son interprétation formidable, c’est le sérieux avec lequel il traite le ridicule de son personnage. Certes, la voix se perd parfois dans un jeu scénique engagé et n’est que rarement mise en valeur, du fait des travestissements nécessitant des déformations vocales. Mais ses graves magnifiques ressortent tout de même régulièrement. Doté d’une robe à fleur et d’une perruque ronde, il tient la démarche maladroite de la mégère et fait exploser le public à chaque mimique. Dans l’air le plus connu de l’opéra, dans lequel Mamma Agata décrit sa musique idéale à grand renfort d’onomatopées figurant le son des instruments, il mime l’orchestre en dansant, affichant un air satisfait réjouissant. Plus tard, il assume avec brio la catastrophe vocale de son personnage, interprétant (faux, pas en rythme et avec des paroles absurdes) le rôle du contre-ténor qu’il doit remplacer au pied levé. Au moment des saluts, c’est un véritable triomphe qui accueille le baryton.
Viva la Mamma par Laurent Pelly (© Bertrand Stofleth)
La mise en scène de Laurent Pelly n’est pas pour rien dans ce succès. Le décor de Chantal Thomas joue sur la mise en abyme sur laquelle l’œuvre repose : c’est un beau théâtre à l’italienne qui accueille la seconde partie du spectacle. Lorsqu’à la fin, la représentation est annulée faute d’interprètes capables et que la troupe s’enfuit avec la caisse, le théâtre fait banqueroute : des ouvriers entrent avec des marteaux-piqueurs, détruisant la salle pour la transformer en parking. C’est dans ce décor de parking que se tient la première partie, dans laquelle les personnages évoluent tels des fantômes d’antan, expliquant le naufrage de cet espace culturel. La patte du metteur en scène (notamment le traitement des chœurs, si particulier) est reconnaissable. Il invente des situations comiques basées sur le jeu muet de figurants, qui participent à la drôlerie du spectacle : le souffleur qui interagit avec les interprètes pendant les répétitions, les danseurs qui manient maladroitement des lances derrière la prima donna, etc. Les ensembles sont chorégraphiés, chaque personnage suivant une logique propre : le spectateur ne sait plus où donner de la tête tant il s’y passe de choses.
Patrizia Ciofi dans Viva la Mamma (© Bertrand Stofleth)
L’ensemble de la distribution est au diapason. Patrizia Ciofi est la prima donna
Viva la mamma par Laurent Pelly (© tofleth)
Charles Rice joue le mari de la prima donna. Si sa voix profonde manque d’ampleur et achoppe sur un phrasé manquant de fluidité, créant de ce fait des décalages rythmiques avec l’orchestre ou ses collègues, il forme un solide Procolo aux vocalises assurées, parfaitement couard, précieux et prétentieux, mais surtout amoureusement admiratif de sa cantatrice de femme. Clara Meloni est Luigia, la fille de Mamma Agata, qui se plaint de l’étroitesse de son rôle. Sa voix de velours, fortement timbrée, manque de volume. Dans son grand air final, son chant fait écho au violoncelle incandescent. Ses aigus sont denses et sa ligne de chant légère, s’exclamant en vocalises et s’appuyant sur un vibrato court et rapide. Pietro di Bianco chante le rôle du Compositeur de sa voix cuivrée mais claire, qui ressort gracieusement des ensembles. Le Librettiste, interprété par Enric Martinez-Castignani, propose un jeu à la De Funès, dans l’énergie et le comique gestuel. L’Impressario de Piotr Micinski est également très drôle dans son jeu muet.
Viva la mamma par Laurent Pelly (© tofleth)
Pour accompagner cette troupe joyeuse et semblant s’amuser comme des enfants à partir du livret du compositeur et de Domenico Gilardoni, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon est dirigé sans relief par Lorenzo Viotti. Le Chœur de la maison, très impliqué dans la composition scénique, est également bien en place musicalement. Cette production passera par Genève et Barcelone : souhaitons à cette œuvre une nouvelle carrière plus étendue encore, pour le plus grand plaisir du public.
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