Les Cris de Paris en Festival Capital au Petit Palais
Comme surgissant du passé, une cellule répétitive résonne. Le public, intrigué, tend l’oreille. Le théorbe est presque imperceptible. Une femme se lève lentement et vient se placer devant l’orchestre. Il y a du bruit, de l’écho, mais cette voix de soprano charme l’auditoire dès qu’elle prononce les premiers mots de la canzonetta spirituale de Merula Hor che’l tempo di dormire. Très habitée, elle transporte chacun dans le rêve éveillé de cette mère imaginant le futur de son fils endormi devant elle.
À peine la cadence terminée, Geoffroy Jourdain surgit de l’orchestre et enchaîne avec le premier Crucifixus de la soirée : celui de Monteverdi pour quatre voix d’homme. Là encore, l’écho et le bruit empêchent une bonne compréhension du texte, mais le public ne lui en tient pas rigueur, car l’expressivité, elle, est bien présente. Chaque « crucifixus » sonne comme un cri de douleur et captive le public.
Une fois la cadence libératrice entendue, c’est à l’ensemble baroque composé d’un théorbe, de dessus et de basses de viole de prendre la parole. À la fois postlude de la pièce précédente et prélude de la pièce suivante (Crucifixus à six voix de Lotti), cette ritornella (Chi vol che m’innamori) constitue une belle transition musicale.
Après un bref silence, Geoffroy Jourdain lance son chœur dans les méandres de ce nouveau Crucifixus. Les voix se marient, se complètent, se superposent, puis s’entremêlent et se bousculent. La précision des entrées, le goût du détail et des ambiances sonores, ainsi que l’intelligence de la direction musicale rendent ce moment musical magnifique.
C’est avec un extrait de l’acte II (Sinfonia en sol) de l’opéra Orfeo que la musique de Monteverdi se fait à nouveau entendre. L’espace d’un instant, la douleur laisse place à un recueillement quasi religieux. À peine les dernières notes de la sinfonia jouées, les hommes se lancent dans le dramatique Crucifixus pour huit voix d'Antonio Lotti. Toujours à la limite de la dissonance, cette pièce est une succession de tensions aboutissant à une cadence finale salutaire. L’implication du chef est totale et la concentration de son chœur extrême. Ici encore, le souci du détail et les variétés de nuances donnent du relief à cette interprétation de la pièce de Lotti.
Cette plongée au cœur de la musique baroque italienne se poursuit par un extrait de la Cantate Domino du maître Monteverdi. Accompagné par une basse de viole, le théorbe interprète la dernière pièce instrumentale de la soirée. Après cet intermède, le chœur reprend ses droits en chantant un Crucifixus à dix voix écrit par Antonio Lotti. La direction de Geoffroy Jourdain est très expressive. Là encore l’immense travail d’interprétation du chef se ressent jusque dans les petits détails musicaux : les voix alternant entre un rôle de soliste et d’accompagnateur, les nuances passant d’un triple pianissimo à un double forte.
Après un nouveau détour par Monteverdi (Adoramus te à 6 voix), l’ensemble du chœur se lève pour interpréter le Crucifixus à seize voix de Caldara. Après une brève imitation entre les voix d’homme et de femme, les voix se superposent et s’entrecroisent. Chaque « crucifixus » est une souffrance. L’interprétation est bouleversante. Comme lors du début de ce concert, la fin de cette première partie est accueillie par un silence.
Après un accord (indispensable) des instruments, Les Cris de Paris entament une deuxième partie beaucoup moins sombre où la souffrance et la douleur ont laissé la place au recueillement. Se désolant de la fanfare passant aux abords du Petit Palais, Geoffroy Jourdain se prend la tête dans les mains, puis se ressaisit en lançant un regard complice à ses chanteurs et donne le départ de la nouvelle pièce (O Jesu mea vita pour cinq voix de Monteverdi).
Malgré la fanfare au loin, le public, très attentif, apprécie l’interprétation du chœur de La vita caduca « In una siepe ombrosa
C’est avec des « hor » graves et théâtraux que la pièce suivante commence (« Hor che’l ciel e la terra » de Monteverdi). L’espace d’un instant, le public fait un voyage dans le temps pour se retrouver au cœur de la période baroque. Sous ses yeux, la tradition du madrigal reprend vie : le sens de chaque mot est souligné par des figures mélodiques évocatrices.
C’est au tour du compositeur Francesco Cavalli d’être à l’honneur avec son Salve Regina pour quatre voix. Comme lors de la première pièce de Merula, les lignes vocales semblent improvisées donnant l’impression, l’espace de quelques minutes, que le temps a été suspendu.
Après un Laudate Dominum (huit voix) espiègle, Geoffroy Jourdain donne le départ du Beatus vir pour six voix de Monteverdi. C’est avec cette pièce, incroyablement poétique et construit sur un ostinato
Sa cadence finale est d’abord accueillie par un très long silence. Puis, le public laisse éclater son enthousiasme en applaudissant avec vigueur pendant plusieurs minutes. Le chef annonce alors un bis extrait du Dixit Dominus écrit par Monteverdi à la fin de sa vie. La soirée s’achève sur de longs applaudissements.