Vivaldi profane pour fan de Pichanick
Sur le rythme aussi déchaîné que maîtrisé et rebondi des Accents de Thibault Noally, la jeune contralto française Anthea Pichanick (Premier prix du Concours d'Innsbruck 2015) offre un cœur palpitant en trois cantates : Qual per ignoto calle RV 677, Amor hai vinto RV 683 et Cessate, omai cessate RV 684. Comme souvent en musique ancienne, la frontière entre profane et sacré est ténue. Ces cantates profanes ont la beauté pure de sentiments sacrés et des lamentations mariales (tout comme les cantates sacrées ont ces mouvements concitato : agités).
Thibault Noally dirige depuis son violon le quintette à cordes des Accents soutenu par le clavecin. Sa baguette est un archet d'une virtuosité sans faille, emportant les trilles et ornements instrumentaux dans une allure et une musicalité soutenues. Tricoteur en chef, il ordonne le ballet des bois bondissant et virevoltant de toutes parts (sautant verticalement au-dessus des cordes et tressaillant perpendiculairement, prestissimo tandis que les doigts astiquent les cordes). La qualité des musiciens leur permet de déployer une grande musicalité, même dans un tempo rapide (même pour du Vivaldi et même dans les mouvements "lents"). À une telle allure, point de variation de nuances possible, mais le discours musical est construit par Les Accents (de cet ensemble qui porte décidément bien son nom) et une immense maîtrise dans les variations de projection (le son est plus ou moins retenu ou propulsé vers le public, non pas en jouant plus ou moins fort, mais par l'intention du geste).
Thibault Noally (© Sofia Albaric)
Une fois qu'il aura été dit qu'Anthea Pichanick peut grandement progresser dans l'agilité des vocalises (surtout avec cet accompagnement virtuose), la longueur du souffle et élargir l'amplitude aux deux bouts de l'ambitus (les promesses de son jeune âge), force est d'admirer cette conteuse tournant les pages de la partition comme un grimoire (rebroussant chemin sur les da capo : reprise à "la tête" du morceau). La contralto est en effet particulièrement à l'aise dans les récitatifs, enchaînant très souplement les notes conjointes et agrégeant les articulations d'un texte parfaitement rendu.
Et puis vient ce "lagrimar" qui suspend le temps à un sanglot, avant le retour du mouvement agité, éloquente illustration du génial système Vivaldi et de la construction musicale "à l'italienne" en trois mouvements : vif-lent-vif, qui emporte, apaise et émeut, pour mieux secouer, bouleverser, remuer.
Anthea Pichanick (© Julien Cherki)
Anthea Pichanick et Les Accents de Thibault Noally se réuniront à nouveau très prochainement et pour un événement : la contralto tiendra le rôle-titre dans la recréation française du Mitridate
Vous appréciez Vivaldi, n'hésitez pas à réserver pour découvrir Arsilda à Versailles du 23 au 25 Juin 2017.
Anthea Pichanick "Sorge l'irato nembo" dans Orlando furioso, Antonio Vivaldi