Une Cenerentola inattendue à Garnier
Retrouvez ici les cinq étapes de notre reportage sur les coulisses de la Cenerentola :
- Lisez notre interview avec le metteur en scène Guillaume Gallienne
- Celle avec le chef Ottavio Dantone
- L'entretien que nous a accordé le jeune Ramiro : Juan José de Leon
- Les confessions de Teresa Iervolino, la lumineuse Cenerentola
- Et enfin notre immersion dans les répétitions de la production
Et si la Cenerentola n’était pas une comédie ? Rossini lui-même a décrit cet opéra comme un dramma giocoso, c’est-à-dire un drame joyeux. C’est l’aspect dramatique et cruel de l’œuvre que le comédien Guillaume Gallienne a souhaité mettre en avant au travers de sa mise en scène. Aussi les occasions de sourire sont-elles rares. Bien plus que les occasions d’être émus. Don Magnifico, personnage bouffe par excellence, est ici un être odieux, brutal et vicieux, tirant probablement ce trait de personnalité des moqueries incessantes dont il est l’objet. Très vite, un malaise s’empare du spectateur, lorsque le père touche le ventre de ses filles et que leur réaction semble indiquer qu’elles ont connu bien pire. Car l’originalité de cette production, plus encore que la transposition de l’intrigue sur le flanc du Vésuve ou le handicap du Prince, tient dans la profondeur psychologique avec laquelle les personnages, et notamment les sœurs méchantes, sont dépeints, grâce à une impressionnante direction d'acteurs du metteur en scène. Les sœurs sont certes des pestes méprisantes envers Cenerentola, mais ce sont surtout les victimes des agissements de leur père, ce que la plupart des mises en scène montrent finalement, en cachant toutefois cet aspect derrière la comédie et des grimages ridicules. Rien de tout cela ici : Tisbe et Clorinda sont plutôt gracieuses et leurs mésaventures prêtent plus à la compassion qu’au rire.
Maurizio Muraro dans Cenerentola (© Vincent Pontet)
Le rôle-titre est interprété par Teresa Iervolino qui fait à cette occasion ses débuts à l’Opéra de Paris. La mezzo-soprano dispose d’une voix ronde et voluptueuse, au vibrato intense. Ses aigus sont clairs et sa tenue de note ronflante. Ses vocalises, très sollicitées dans cette œuvre, sont ciselées et précises mais pourraient encore gagner en relief. La performance théâtrale livrée par la chanteuse est impressionnante, bien aidée par une prononciation soignée : la dépression qui lui tient lieu de révolte se mue ainsi en un éclair en un radieux sourire lorsque ses sœurs s’approchent d’elle et qu’elle pense vivre un instant de complicité avec elles. La scène du coup de foudre est intelligemment construite, et jouée sur un tempo lent : les deux jeunes amoureux se retrouvent assis, les yeux plongés avec délicatesse dans le regard de l’autre.
Teresa Iervolino dans Cenerentola (© Vincent Pontet)
Juan José de Leon chante Ramiro d’une voix légèrement nasale aux aigus rayonnants et puissants et aux graves solides et bien projetés, qui passent sans problème le mur de l’orchestre. Il interprète son grand air tout en finesse, affichant un vibrato pénétrant et une grande longueur de souffle. Un léger défaut de prononciation le met en revanche en difficulté lorsque le tempo s’accélère. Dandini est dépeint comme un confident du Prince, voire un ami, plus que comme le valet décrit par le livret. L’interprète de ce dernier, Alessio Arduini, apporte son dynamisme facétieux et son plaisir de jouer au personnage. Séducteur, il fait s’évanouir ses prétendantes. Son beau timbre ténébreux est malheureusement parfois négligé lorsque le jeu scénique prend le pas sur le chant. Roberto Tagliavini est un Alidoro imposant, dur face à Don Magnifico dont il retient les coups, mais intensément tendre vis-à-vis d’Angelina. Lorsque tous les personnages flanchent durant le réveil du volcan, lui reste stoïque, les bras croisés, observant la scène depuis les hauteurs du décor, signe du rôle quasi-divin qui lui est confié. Sa voix ample et puissante, au timbre noble et profond convoque un legato appuyé qui assure la prestance du personnage.
Juan José de Leon dans Cenerentola (© Vincent Pontet)
Don Magnifico se pare du métier de Maurizio Muraro, en lui ajoutant l’air méchant propre à cette production. Sa voix généreusement large est profonde et sa diction garde sa qualité dans le torrent de mots qu’il doit débiter dans l’introduction de l’acte II. Chiara Skerath brûle les planches dans le rôle de Clorinda, malgré son absence d’air soliste. Sa voix claire et fraîche ressort dans les ensembles, comme sa note tenue magnifique dans le final de l’acte I. Sa ligne vocale est fine et nuancée, appuyée sur un jeu théâtral abouti : des larmes semblent mouiller ses yeux lorsque son personnage apprend que le destin royal est réservé à la sœur méprisée. Sa moue dégoûtée ou effrayée, chaque fois que son père s’approche d’elle, est éloquente. Elle profite de sa position d’aînée pour martyriser sa sœur Tisbe, incarnée par une Isabelle Druet plus discrète, mais dont le timbre chaleureux et coloré complète joliment les ensembles.
Alessio Arduini, Isabelle Druet et Chiara Skerath dans Cenerentola (© Vincent Pontet)
Ottavio Dantone dirige sa première Cenerentola, s’affranchissant totalement des habitudes du genre. Ainsi, durant l’ouverture, le temps se suspend lorsque les doubles-croches des cordes sont retenues. Le chef sublime les couleurs additionnées de chaque soliste de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, en extrayant l’émotion de la musique. Le choix d’utiliser la harpe pour accompagner les récitatifs se révèle ainsi être une vraie bonne idée, l’instrument se faisant vecteur d’émotion. Quelques moments, comme celui de la tempête, ressortent par leur poésie. De même, l’ensemble Questo è un nodo avviluppato, privé de l’accentuation de ses « r » et pris sur un tempo lent, découvre une nouvelle beauté. Le ralentissement du duo entre Dandini et Don Magnifico lui fait en revanche perdre de son sel. Le Chœur de l’Opéra de Paris est représenté par un effectif restreint de 14 chanteurs, qui génère toutefois une puissance vocale saisissante. Ces artistes participent à l’action et se montrent convaincants dans le jeu. Cette Cenerentola