Le Costume à l'opéra - 3 | Sa signature
- 1 | Son importance
- 2 | Sa création dans les ateliers de confection
- 3 | Sa signature
- 4 | Sa seconde vie dans les collections d'un musée
- 5 | Dans l'atelier de l'Opéra Comique - Rencontre avec Johanna Richard
Faste et décadence
Dans les deux premiers siècles qui suivirent la création de l’opéra, le concept de mise en scène tel qu’on l'entend aujourd’hui n’est pas encore exploré : seule la composition et la voix revêtent une importance. Le costume est davantage perçu comme un outil de travail. Les maisons d’opéras ont ainsi une personne salariée attitrée aux costumes et une autre chargée des décors. L’Opéra national de Paris ne se séparera d'ailleurs de son costumier permanent qu’avec l’avènement de l’ère réformatrice de Jacques Rouché, directeur de l'institution en 1914 ! Au XVIIe siècle, scéniquement parlant, l’accent est davantage mis sur les décors, machineries et autres câbles invisibles gérant les apparitions et disparations magiques des personnages. L'ère est au baroque et la Cour de Louis XIV s'inspire de la commedia dell'arte et de son ingéniosité pour restituer le caractère surnaturel des récits mythologiques racontés dans les opéras. Les costumes, eux, sont fastueux, exhibent les richesses de la Cour mais sont irréalistes et sans rapport avec les personnages : il n'est pas étonnant de voir des robes de paysannes ornées de belles broches ou des rois avec des perruques !
Projets de costumes par Jean Bérain (nymphe et héros) pour Armide de Quinault et Lully (1686).
Au XVIIIe siècle, le costume gagne en réalisme et commence à servir d'identifiant pour le personnage. De grands peintres comme François Boucher sont notamment appelés à signer les décors. Les matières employées pour les costumes diffèrent largement de celles employées aujourd’hui. Si la soie, le velours et les matériaux nobles sont encore très recherchés, ils sont extrêmement coûteux. Faute de moyens, les costumes sont d'ailleurs souvent portés et réutilisés jusqu'à leur usure complète. Chose importante mais que l'on oublie trop souvent, l’éclairage se fait à la bougie. Les couleurs des costumes, moins vives car entièrement naturelles, apparaissent donc sans fard et sans ajustement.
Ce ramassis de friperie si étranger à l’art.
Le costume vit véritablement ses heures de gloire au milieu du XIXe siècle, apogée du Grand opéra. En 1878, l’Exposition universelle lui consacre même quelque uns de ses espaces et, deux ans plus tard, le critique musical Adolphe Jullien en fait l’historique dans un imposant ouvrage. Les costumes historiques sont imaginés à partir de documents d’archives et un point d’honneur est mis à faire ressortir le style exact de l’époque jouée. Ainsi, dans un souci de vraisemblance, pour la création d'Aïda à l'Opéra Khédival du Caire, l'égyptologue Auguste Mariette, qui avait déjà fourni le livret à Verdi, signait également les décors et les costumes (ébauche du costume de Radamès ci-dessus). La mise en scène colossale et le nombre faramineux de costumes demandé par le Grand opéra permet à l’Opéra national de Paris de déployer la renommée de ses ateliers de production dans toute l’Europe, et de devenir une vitrine du savoir-faire français. Un nombre faramineux de costumes sont ainsi requis pour Gustave III ou le bal masqué d'Auber (1833) ou encore pour La Juive d'Halévy (1835), décrit pourtant par Delacroix comme un « ramassis de friperies », dans une correspondance avec le ténor Alfred Nourrit. Cette opulence sera un temps suivie par les opéras de Vienne, Milan, Londres et Saint-Pétersbourg, puis balayée progressivement pour des raisons financières et esthétiques.
Au début du XXe siècle, le modernisme fait son apparition, bouscule les conventions et l’opéra prend un nouveau tournant. Les Ballets russes de Diaghilev sont les premiers à oser montrer sur scène la révolution artistique qui se trame dans les ateliers de Picasso, Georges Braque, André Derain, Matisse ou encore Giorgio De Chirico. Le costume et la mise en scène deviennent une projection artistique, un manifeste. L’opéra, sous influence, va commencer lui aussi à porter sur scène ces nouveaux mouvements révolutionnaires. Le costume s’insère alors dans une vision scénographique globale.
À la fin des années 60, les metteurs en scène gagnent en influence et pèsent de plus en plus dans les décisions liées à l’opéra. Patrice Chéreau, Peter Brook, Harry Kupfer et autres grands metteurs en scène de théâtre, s'illustrent avec succès dans l'opéra. Le répertoire s’adapte au public moderne et enfante des productions qui s'inscrivent dans le présent. Les décors comme les costumes sont relégués au second plan au profit d'une approche intellectuelle. En faisant entrer en dialogue théâtre et opéra, le jeu d’acteur, lui aussi, prend place sur scène.
La mise en scène du Ring par Patrice Chéreau fit scandale à Bayreuth en 1976. © DR
À l’instar de Maria Callas ou Placido Domingo, les interprètes ne font plus que chanter, ils jouent leurs rôles. Les metteurs en scène, aussi, leur en demandent davantage : ils doivent s'exécuter dans des positions difficiles, de manière expressive, le tout le plus naturellement possible. Le costume endosse alors de nouvelles responsabilités. Il doit correspondre aux intentions scéniques poursuivies par le metteur en scène, être à la fois un soutien et une seconde peau pour le chanteur, tout en respectant les budgets confiés à la production. Les matériaux dérivés du pétrole, le latex, la toile cirée, le rhodoïd, le skaï ou encore le lycra, font leur apparition. Malléables et plus faciles à travailler, ils sont moins coûteux et deviennent facilement de fausses dentelles et broderies. Commence aussi pour le costume une nouvelle rencontre, celle avec la haute-couture.
La Haute couture et l’opéra
Les tenues hors norme qu'il a imaginées font bouger les standards.
De grands noms de la haute couture comme Christian Lacroix, Jean-Paul Gaultier ou encore Kenzo, ont créé des univers sophistiqués bouleversant les standards. Parmi la dizaine d’opéras sur lesquels il a travaillés, Christian Lacroix a notamment réalisé les costumes de Carmen de Bizet dans les arènes de Nîmes en 1989, puis en 1996 au Grand Opéra Avignon, de Cosi fan Tutte de Mozart au Théâtre de la Monnaie en 2006 ou encore plus récemment ceux des opéras Didon et Enée et Actéon au Théâtre des Champs-Elysées en 2011. « Nous adorons le costume de scène car il fait rêver, entre dans le fantastique, là où le prêt-à-porter et même la haute couture restent dans la réalité » confiait Kenzo Takada, à l’origine des costumes de La Flûte enchantée mis en scène par Robert Wilson en 2004 à l'Opéra Bastille. Une collaboration, saluée par la critique, de deux génies créateurs qui ont tous deux opté pour l’épuration et la stylisation. « Ce n'est plus de la haute couture, c'est de la poésie, de la magie », résumait-il alors.
Les costumes de Jean-Paul Gaultier pour Les Noces de Figaro en 2012, réalisés par l'atelier MBV. © DR
Avec des costumes décadents fidèles à sa griffe et contrastant avec la mise en scène sobre de Jean-Paul Scarpitta, Jean-Paul Gaultier avait fait son entrée dans l’univers lyrique avec Les Noces de Figaro de Mozart, lors de la réouverture de l’Opéra-Comédie de Montpellier en juin 2012. Nathalie Chevalier, directrice de l’atelier MBV qui avait fabriqué une trentaine de costumes imaginés par le couturier, soulignait alors : « Jean Paul Gaultier s'est démarqué de tout ce qui avait été vu auparavant dans les Noces de Figaro. […] Les tenues hors norme qu'il a imaginées font bouger les standards. » Structures apparentes, couleurs détonantes, cuir et matières travaillées rappellent sans conteste la griffe du créateur.
Des chefs costumiers à la signature singulière
Certains chefs costumiers se distinguent tout autant en apportant aux costumes leur style si personnel. Issu et travaillant souvent pour le théâtre, le cinéma, le cirque et autres arts de la scène, parfois acteur, cinéaste, metteur en scène, décorateur, le chef costumier se nourrit d'influences. Les spécificités intrinsèques à l'opéra lui posent tout de même des problématiques complexes.
Costumes de Jean-Marc Stehlé pour La Flûte enchantée et Idomeneo © CNCS / Pascal François
Les opéras mythologiques ou fantastiques offrent des défis périlleux aux costumiers. Les costumes de Jean-Marc Stehlé, avant tout décorateur et scénographe, ont ainsi aussi bien été vantés par la critique que décriés. Poétiques, ses costumes et masques pour la Flûte enchantée -mis en scène par Benno Besson en 2001-, remportaient l'adhésion. A contrario, ceux qu’il avait dessinés pour Idomeneo de Mozart -monté par Ivan Fischer en 2002 au Palais Garnier-, avaient cueilli quelques critiques virulentes. Dans un autre registre, avec les costumes oniriques qu’elle avait créés pour la tétralogie du Ring, mis en scène par Pierre Audi à l’Opéra national des Pays-Bas en 2004, la japonaise Eiko Ishioka avait tellement fait sensation, que le musée Stedelijk d’Amsterdam leur dédiait une exposition en 2014.
Costumes d'après Daniel Ogier (gauche) pour Boris Godounov et de Jacques Dupont pour Turandot © CNCS / Pascal François
Pléthore d’opéras invoquent le pouvoir et la royauté et permettent aux costumiers de donner naissance à des costumes riches et extravagants. On pourra citer notamment ceux de Daniel Ogier pour Don Carlos et Le Château de Barbe bleue, créés respectivement à l’Opéra National de Bordeaux en 1991 et en 1993 ou encore ceux pour Boris Godounov au Théâtre du Capitole en 1993. Les costumes du peintre Jacques Dupont pour Turandot en 1968 au Palais Garnier inspirés du célèbre psychodiagnostic de Rorschach avaient notamment fait date par leur stylisation et leur orientalisme. Chargée des costumes, Anna Maria Heinrich s’était inspirée de la couronne de Catherine de Russie pour celle de La Dame de Pique joué à l’Opéra de Lyon en 2007 et l’avait faite sertir de strass Swarovski.
Qui d’autre arriverait à chanter chaque note avec une telle perfection cristalline avec pour seul apparat de la lingerie et des pointes ?
Lorsqu’il est bien pensé et ingénieux, le costume sublime le chanteur et peut transformer une interprétation. Malgorzata Szczesniak laissait ainsi découvrir la magnifique fragilité de la Lulu de Barbara Hannigan dans la mise en scène de Warlikowski, en 2012 à La Monnaie. Pour souligner le sort fébrile de l’héroïne, la soprano canadienne chantait en sous-vêtements et réalisait même la performance de danser sur des pointes. Le Financial Times, sous le charme, avait alors publié : « Barbara Hannigan est la Lulu de Warlikowski et la production semble construite autour d’elle. Qui d’autre arriverait à chanter chaque note avec une telle perfection cristalline avec pour seul apparat de la lingerie et des pointes ? » .
Parfois, le costume réhausse la mise en scène voire prend le pas dessus. Les costumes extravagants d’Helmut Stürmer avaient ainsi transcendé la mise en scène de Silviu Purcarete pour Artaserse (2012). Consternant les fidèles du baroque, les costumes et les coiffures excentriques de Henrike Bromber renforçaient le chaos de la mise en scène de Karoline Gruber pour Jules César en Égypte au Staatoper de Hambourg en 2005. Pour Platée à l’Opéra national de Paris en 2010, le costume et le maquillage de la nymphe des marais, dessinés par le metteur en scène Laurent Pelly, mettait en exergue sa personnalité risible et apportait un contraste saisissant aux smokings portés par les dieux.