Le Costume à l'opéra - 2 | Sa création dans les ateliers de costumes
- 1 | Son importance
- 2 | Sa création dans les ateliers de confection
- 3 | Sa signature
- 4 | Sa seconde vie dans les collections d'un musée
- 5 | Dans l'atelier de l'Opéra Comique - Rencontre avec Johanna Richard
Les étapes de créations et les différents métiers
L’opéra suit une logique d’anticipation à laquelle n’échappe pas le costume. Un directeur de théâtre doit organiser et budgétiser ses futures saisons souvent trois ans à l’avance, «réserver» les plus grands chanteurs et choisir le metteur en scène. Ce dernier se charge ensuite d’engager décorateurs, éclairagistes et costumiers. De sa conception à l’état de maquette aux dernières finitions, la création d’un costume peut prendre jusqu’à un an.
La Dame de Pique, mis en scène de Robert Carsen, décors de Michael Lévine, costumes de Brigitte Reiffenstuel à l'Opéra de Zurich en 2014 © Monika Rittershaus
Dans les étapes de création d’un habit de scène le métier de costumier ou « créateur » intervient en premier. Il doit penser son costume en fonction des attentes du metteur en scène et du budget qu’on lui alloue. Il prend alors le temps de se documenter, dessine une maquette puis choisit des échantillons de tissus qui seront validés par le metteur en scène et la direction du théâtre. La couleur du tissu doit notamment être réfléchie en fonction de l’éclairage sur scène : certaines couleurs pouvant facilement virer avec la puissance de l’éclairage. Si le tout est validé, il peut lancer la fabrication du costume : commande des matières premières et réalisation dans les ateliers de couture, mise au point et essayage. Certains metteurs en scène aiment travailler avec la même équipe. Ainsi, Robert Carsen collabore souvent avec Michael Lévine pour les décors et la créatrice Petra Reinhardt. Olivier Py s’associe régulièrement avec le scénographe et créateur Pierre-André Weitz. Giancarlo del Monaco travaille quasi exclusivement avec le costumier Michael Scott. Lorsque les protagonistes se connaissent et ont déjà travaillé ensemble, le créateur connait bien les attentes du metteur en scène : la réalisation se fait de manière plus évidente et peut alors être plus rapide.
Robe de June Anderson dans Robert le Diable © CNCS / Pascal François
La confection, sur-mesure, fait appel à la même organisation que la haute couture. Le chef d’atelier appelé aussi « premier d’atelier » réalise une première interprétation du costume, coupée et montée dans une toile de coton. Celle-ci sert à fabriquer un « patron » de papier pour chaque morceau du costume en fonction de la corpulence des interprètes. Les « seconds d’atelier » procèdent alors à la découpe et encadrent le travail des couturiers et des tailleurs qui se chargent d’en assembler les pièces avant de le monter. Les finitions se feront dans l’atelier de décoration, tout comme les accessoires, paniers, chapeaux, gants. Le chef décorateur et les décorateurs utilisent différentes techniques pour travailler le textile et lui donner une âme singulière : usure, patine pour un aspect vieilli, faux sang, terre cuite, pigments, broderie, sérigraphie. Une fois le costume monté, les essayages peuvent commencer sous le contrôle du costumier qui, au besoin, apporte ses retouches. Un costume sophistiqué peut nécessiter plus de 40 heures de travail. Pour exemple, la robe de June Anderson dans Robert le Diable (Palais Garnier, 1985) créée par Paco Rabanne, avait nécessité plus d’une centaine d’heures de broderie.
La générale « piano »
Lors de la générale « piano », les chanteurs répètent en costumes, coiffés et chaussés pour la première fois. C’est pendant cette répétition que le directeur de l’atelier de couture analyse les défauts éventuels du costume : accord avec le décor et l’éclairage, confort et aisance des chanteurs, visibilité des détails, problème avec les accessoires : chaussures glissantes, traînes trop longues. Les chanteurs évoluent avec leur seconde peau et peuvent demander des ajustements ; le metteur en scène peut faire des recommandations.
Lors d'une représentation comme lors de la générale piano, l’habilleur est présent en coulisses auprès des chanteurs et les aide dans leur changement de costumes. De manière générale, son rôle est aussi de s’occuper de l’entretien et du nettoyage des costumes, mais aussi de leur acheminement d’un opéra à un autre, le cas échéant.
Les opéras et leur atelier de costumes
Contrairement à la haute-couture et au cinéma qui sont de vraies industries, ici, chaque confection est artisanale. Derrière la machine à coudre, il y a une couturière qui reprendra le tissu à la main
Maintenir son atelier de costumes, c'est garantir la création au sein de sa maison d'opéra. Le gros poste de dépense d'un atelier ne se situe pas tant dans l’achat des matières premières -qui avec l’évolution du costume se sont modifiées, peuvent s’acheter à moindre coût ou bien être imitées-, mais plutôt dans la masse salariale et les heures de travail nécessaires à la confection du costume et de ses accessoires. Pour fabriquer tous les chapeaux d’une production, les couturiers doivent mesurer une à une toutes les têtes des interprètes, puis découper les formes, les assembler. « Contrairement à la haute-couture et au cinéma qui sont de vraies industries, ici, chaque confection est artisanale. Derrière la machine à coudre, il y a une couturière qui reprendra le tissu à la main » souligne Delphine Pinasa, directrice du Centre National du Costume de Scène de Moulins.
Le Pré aux Clercs à l'Opéra Comique © Pierre Grosbois
L’Opéra Comique tient à perpétrer ses savoir-faire ancestraux. Dans son atelier de production, qui compte deux salariés permanents et peut faire travailler plus d'une dizaine de personnes, même la colorisation des costumes est artisanale. Celui-ci dispose d’une cuisine depuis trois ans qui permet teinter le tissu à partir de pigments naturels. Pour habiller les paysans du Pré aux Clercs, l’atelier avait ainsi travaillé une déclinaison de couleurs pastels basée sur des tableaux anciens en employant des colorants d’origine végétale ou animale comme la cochenille ou la garance.
Les ateliers de l’Opéra de Paris sont scindés en deux : l’Opéra Bastille accueille la fabrication des costumes des solistes et des chœurs, tandis que le Palais Garnier gère la confection des habits de danse. En tout, les ateliers font travailler 150 personnes. L’institution décide du budget alloué à une production environ deux ans à l’avance et la conception d’un costume varie de quatre mois à un an et demi en fonction de la taille de la production.
La disparition des fabricants de textiles contraint les ateliers des opéras à intervenir de plus en plus sur le tissu par des teintures, patines, superpositions ou traitements particuliers et à faire intervenir des artisans d’art : tailleurs, couturiers, modistes, spécialistes de la maille, mais aussi teinturiers, plumassiers, brodeurs, perruquiers, chausseurs.
Ôlyrix tient à remercier chaleureusement le CNCS pour son aide précieuse.
(Crédits photographiques cover : © CNCS / Pascal François)