Les Tessitures à l'Opéra (3/6) voix féminines dans la terminologie allemande
Première partie : les tessitures féminines, la terminologie italienne
Deuxième partie : les tessitures masculines, la terminologie italienne
Troisième partie : les tessitures féminines, la terminologie allemande
Quatrième partie : les tessitures masculines, la terminologie allemande
Cinquième partie : les tessitures selon la terminologie baroque française
Sixième partie : les tessitures par antonomase
La typologie vocale allemande est l'une des plus connues et utilisées actuellement au monde. Ce système de répartition s'appelle "fach" (discipline, en allemand) et la classification se fait selon l'étendue, le timbre et la force vocale d'une chanteuse ou chanteur. Il est possible qu'une voix mature au cours du temps et passe d'un "fach" à l'autre, mais généralement chaque voix interprète des rôles adaptés à son type ou à un autre qui lui est proche.
Lyrischer Koloratursopran : Renata Scotto
La soprano colorature lyrique est dotée d'une voix assez agile et virtuose, d'un timbre clair et large en ambitus dans le registre aigu. Les rôles phares de ce type vocal sont : Gilda dans Rigoletto, Norina chez Don Pasquale ou Olympia dans Les Contes d'Hoffmann.
Dramatischer Koloratursopran : Edita Gruberová
Soprano colorature dramatique - Cette voix est quelque peu plus sombre que sa version lyrique, avec les mêmes qualités vocales. Ses rôles de prédilection sont Violetta Valéry de La Traviata, La Reine de la Nuit de La Flûte enchantée ou le rôle-titre de Lucia di Lammermoor de Donizetti.
Deutsche Soubrette (emploi plutôt théâtral) : Mirella Freni
La soprano soubrette est un emploi principalement théâtral, celui des rôles de servantes pour voix juvéniles, lyriques, aiguës, la plupart des notes étant dans son registre central. Les personnages qu'elle interprète sont principalement mozartiens, comme Suzanne dans Les Noces de Figaro, Despina (Cosi fan tutte), Zerlina en Don Giovanni, ou bien Musette dans La Bohème de Puccini.
Lyrischer Sopran : Montserrat Caballé
C'est une soprano lyrique au timbre doux et tendre, ayant la puissance et l'endurance vocale pour chanter les longues lignes en legato (notes attachées). Ses rôles sont Liù dans Turandot, Micaëla pour Carmen ou la Pamina de La Flûte enchantée.
À la fin du premier acte de Turandot, Timur et Liu supplient Calaf de ne pas les abandonner en risquant sa vie pour la Princesse (« Signore, ascolta ! »). Mais il ne renonce pas, demandant à Liu de prendre soin de son père (« Non piangere, Liù ! »). Puis il se fraye un chemin dans la foule qui tente de le retenir pour sonner le gong (« Ah ! per l’ultima volta ! »).
Jugendliche Dramatischer Sopran : Sonya Yoncheva
La jeune soprano dramatique a un instrument fort et stable pour chanter de grandes lignes mélodiques, porteuse d'une tension dramatique. Desdemona d'Otello, Elsa en Lohengrin et Tatiana d'Eugène Onéguine sont quelques rôles adaptés à sa configuration vocale.
Cette prière (« Ave Maria, piena di grazia ») est un moment de délicatesse du quatrième acte, avant la mort de Desdemona par son Otello. Après la prière, elle se couche et l'attend, il entre et voit sa femme endormie. Elle se réveille. Otello réitère ses accusations et lui demande d’avouer avant qu’il ne la tue. Elle nie et demande à ce qu’on aille chercher Cassio afin qu’elle puisse être disculpée. Otello lui annonce la mort de Cassio. Se sachant perdue, Desdemone s’effondre. La croyant attristée par la mort de son amant, Otello l’étrangle.
Dramatischer Sopran : Maria Callas
La soprano dramatique est la voix pour laquelle sont écrites des pages parmi les plus belles de l'histoire de l'opéra romantique. Il s'agit d'un instrument à large étendue, au timbre métallique dans le registre aigu et dont le diapason grave aux couleurs sombres est aussi stable que sa tessiture (registre pivot). Elle chante Aida, Turandot, Tosca, mais aussi des personnages wagnériens.
Maria Callas entonne l'air de Santuzza, qui est la victime du drame de cet opéra (Cavalleria Rusticana) : comme elle l'expose à Mamma Lucia ("Voi lo sapete, o mamma"), elle a été victime de la jalousie de Lola, pourtant mariée, qui a voulu reprendre Turiddu en apprenant que le jeune paysan s'était épris d'elle. Mais elle est également victime de Turiddu, qui l'a séduite pour pallier sa séparation avec Lola, et qui tente en vain de la rassurer. Santuzza est sincèrement amoureuse de Turiddu puisqu'elle l'implore de se détourner de Lola au début mais elle est également aveuglée par la jalousie, c'est pourquoi elle finit par déclencher la colère d'Alfio. Lorsqu'elle réalise que son entreprise débouchera sur un duel mortel entre les deux hommes, Santuzza regrette d'avoir informé Alfio.
Koloratur-Mezzosopran : Marianne Crebassa
Comme les sopranos coloratures, les mezzo-sopranos portant cet adjectif arborent une voix légère et virtuose, caractérisée par une large souplesse et grande étendue vocale (registre grave riche et stable). Ce type de voix est particulièrement présent dans l'opéra baroque, où il peut facilement prendre la place d'un castrat. Par ailleurs, on en trouve dans les opéras de Mozart, Gluck et autres opus de XVIIIe siècle, jusqu'à Gioachino Rossini et l'opéra italien.
Voici un extrait de La Cenerentola (Cendrillon) de Rossini, dans l'interprétation de la mezzo-soprano colorature française Marianne Crebassa au Palais Garnier (mise en scène de Guillaume Gallienne et direction musicale Evelino Pidò).
Cet air "Nacqui all'affanno... Non più mesta" arrive à la fin de l'opéra où Angelina (la Cendrillon) revoit son enfance dans la pauvreté, et sa désormais vie de princesse. Elle pardonne tous les méchancetés causées par sa famille et la cour entière affirme sa dignité princière.
Lyrischer Mezzosopran / Spielalt : Teresa Berganza
La voix de la mezzo-soprano lyrique, autrement appelé Spielalt (l'alto mélodique), porte expressivité et tendresse, ainsi que la luminosité de son timbre. Les chanteuses de ce "fach" sont généralement aptes à porter les grandes lignes mélodiques et parcourir les vocalises. On la nomme aussi "soprano courte" en raison d'un registre aigu moins développé que chez les sopranos. Cependant, une mezzo-soprano lyrique peut éventuellement passer soprano au fil du temps.
Voici la célèbre mezzo espagnole, Teresa Berganza interprétant l'air de Dorabella du premier acte de Cosi fan tutte, "Smanie implacabili". Sincèrement attristée par le départ de son fiancé pour la guerre, Dorabella se laisse toutefois convaincre de s'amuser un peu avec Guglielmo, le fiancé de sa sœur Fiordiligi déguisé en Albanais pour tester sa fidélité. La supercherie révélée, elle se remet avec Ferrando.
Dramatischer Mezzosopran : Anita Rachvelishvili
La mezzo-soprano dramatique offre de grands rôles lyriques, portant une puissance sonore qui dépasse l'orchestre, l'autorité dans le registre grave et central, le timbre métallique dans les hauteurs. Les rôles écrits pour cette voix exigent souvent une grande endurance : les personnages phares du répertoire sont : Dalila, Carmen, Eboli (Don Carlos de Verdi) ou Didon (Les Troyens de Berlioz).
Voici une grande mezzo-soprano d'aujourd'hui, l'artiste géorgienne Anita Rachvelishvili interprétant la fameuse mélodie de Dalila "Mon cœur s'ouvre à toi". Dans l'acte II, Dalila attend Samson dans sa demeure, persuadée qu’il viendra la rejoindre et tombera entre ses griffes pour que s’accomplisse sa vengeance. Le Grand-Prêtre de Dagon la retrouve et lui demande son aide pour vaincre Samson : Dalila lui offre de lui livrer Samson, non pour répondre à sa demande mais pour assouvir sa propre vengeance, elle que Samson a repoussée par trois fois. Pourtant, une fois seule, elle doute de la venue de son amant.
Peu après, Samson s’approche de la demeure, réclamant en vain l’aide de Dieu pour résister à la tentation. L’apercevant, Dalila et rejoint et tombe dans ses bras, l’enivrant de mots d’amour (« C’est toi ! Mon bien-aimé », « Mon cœur s’ouvre à ta voix »). Une fois Samson dans ses filets, elle réclame de lui qu’il révèle le secret de sa force, comme gage de son amour. Devant le refus de Samson, Dalila le renvoie violemment et rentre chez elle. Après une hésitation, Samson l’y suit. Peu après, Dalila appelle les soldats philistins : Samson comprend trop tard qu’il est trahi.
Dramatischer Alt : Hanna Schwarz
Il s'agit d'une voix rare à l'opéra (contralto dramatique), mais aux couleurs riches et au registre grave puissant. Les personnages dédiés à ce type sont hautement dramatiques et stylistiquement ne diffèrent pas beaucoup de la mezzo-soprano dramatique (la hauteur est dissemblable). Elle est d'habitude chantée avec la voix de poitrine ou voix mixte, exploitant les sonorités sombres.
Dans l'extrait présenté, Hanna Schwarz incarne Erda (Déesse-mère de la Terre) dans l'opéra L'Or du Rhin de Wagner. Elle est la déesse ayant engendré le monde et possédant un savoir éternel et omniscient. Elle sort de son sommeil pour mettre en garde Wotan contre le crépuscule des Dieux, bien avant l'apparition de la dynastie des humains. Son discours est en réalité vain puisque le destin de Wotan est déjà scellé par la malédiction de l'anneau. Le leitmotiv de la déesse-mère, lui-même issu du motif du Rhin, donnera celui du crépuscule des dieux par inversion mélodique. Symbolisant l'élément de la Terre, le caractère atemporel et immuable de cette divinité est figuré par le registre le plus grave de la voix féminine, celui de contralto.
Tiefer Alt : Ortrun Wenkel
Le contralto grave trouve encore moins d'emploi dans la littérature vocale d'art lyrique. Nous le retrouvons dans certains opus de Wagner et Strauss, ainsi que dans les créations contemporaines. Ses caractéristiques sont la richesse du registre bas et la puissance sonore. La largesse de son étendue grave coïncide souvent avec la tessiture d'une voix masculine.
La contralto allemande Ortrun Wenkel, spécialisée dans son répertoire national (donc wagnérien et straussien notamment) interprète ici Gaea dans Daphne de Richard Strauss. Cette "tragédie bucolique en un acte" est inspirée des Métamorphoses d'Ovide et propose un duo entre Gaea et sa fille Daphné qui ne souhaite pas participer à la festivité en l'honneur au dieu Dionysos, étant malheureuse de ne pas pouvoir aimer son ami Leukippos en retour. Elle a perdu l'intérêt pour l'amour humain.