L’opéra au cinéma (3/4)
Gioconda vu par Disney
Les films d’animation sont aussi friands d’opéra. Fantasia (1940), le troisième film Disney a notamment permis de faire connaître au grand public des morceaux de musiques classiques. L’un d’eux est extrait d’un opéra : le ballet de La Gioconda (1876) composée par Amilcare Ponchielli.
Lorsqu'Alvise découvre la liaison qu'entretient sa femme Laura avec Enzo, un noble banni, il la force à s'empoisonner (commettant un suicide, elle se condamnerait ainsi aux enfers). Mais Laura est sauvée par la Gioconda, une cantatrice elle-même amoureuse d'Enzo, qui remplace le poison par un puissant somnifère. Pendant la supposée agonie de sa femme, Alvise reçoit les nobles de la ville et fait jouer un ballet, la Danse des heures, réinventé ici dans une version animalière :
Umberto Giordano à Philadelphie
La puissance des passions déployées à l’opéra renforce les moments bouleversants au cinéma. Philadelphia (1993) retrace l'histoire d'Andrew Beckett (incarné par Tom Hanks), avocat homosexuel mort du Sida qui parvient à faire condamner son ancien cabinet d'avocat pour discrimination sur à son licenciement.
Côté musique, le film est célèbre pour la chanson Streets of Philadelphia de Bruce Springsteen, récompensée par l'Oscar de la meilleure chanson originale et le Grammy Award de la chanson de l'année. Mais le film présente aussi un air d’opéra, dans une scène bouleversante. La voici, avec présentation et analyse de l’air (chanté par La Callas) par le héros lui-même :
To Rome with Verdi
Woody Allen s’attaque à l’opéra avec son génie dramatique (Les Pêcheurs de perles de Bizet interprétés en italien par Enrico Caruso et Una furtiva lagrima dans L’Elixir d’amour de Donizetti figurent sur la bande son de Match point, 2005). L’art lyrique est aussi l’allié de son humour. La croyance veut que tout le monde chante mieux sous la douche. Qu’à cela ne tienne dans le film To Rome with Love (2012), le metteur en scène fera preuve de son ingéniosité pour mettre le ténor dans les meilleures conditions. C'est le Chœur Giuseppe Verdi de Rome qui interprète Pagliacci sur les planches du Teatro Argentina de Rome :
Pretty Traviata
Dans Pretty Woman (Garry Marshall, 1990), Edward Lewis (Richard Gere) et Vivian "Viv" Ward (Julia Roberts) assistent à une représentation de la Traviata (dirigée par Thomas Pasatieri) et ce n'est pas un hasard : l'opéra et le film partagent la même histoire, celle d'une prostituée rédimée par l'amour. La production souhaitait tourner cette scène à l'Opéra de San Francisco, malheureusement le tremblement de terre du 17 octobre 1989 obligea l'équipe à filmer dans un studio Disney.
Décryptage complet de la scène pour accompagner votre visionnage : Julia Roberts est inquiète de leur retard, mais Richard Gere la rassure, les premières ne commencent jamais à l’heure (ce qui n’est pas faux, à quelques exceptions près). Richard Gere prend ensuite le programme qui lui est tendu (excellente initiative, hélas peu fréquente, que d’offrir ainsi ce document indispensable pour bien profiter du spectacle). Les spectateurs sont habillés selon la tradition des soirées de première ou de gala : robe de soirée pour Madame, smoking avec nœud papillon pour Monsieur, mais pas d’inquiétude, ces tenues sont extrêmement rares de nos jours, uniquement portées par quelques personnes lors des premières ou soirées de Gala. Aucune maison d’opéra ne refusera l’accès et aucun spectateur ne se formalisera d’une personne sobrement vêtue, mais rien n’empêche de s’habiller pour l’occasion. La seule tenue exigée à l’opéra est la “bonne tenue” : un comportement respectueux. Nos héros sont ensuite placés dans une loge, l’occasion pour Richard Gere de saluer ses voisins (les amitiés se forgent vite dans le monde de l’opéra), tandis que Julia Roberts s’émerveille du lieu. En habitué de l’opéra, Richard Gere est hélas déjà blasé (“C’est bon, je connais déjà”), mais surtout il a le vertige. Julia Roberts : “Si vous avez le vertige, pourquoi prendre ces places ?” ; Richard Gere : “Ce sont les meilleures” (ce qui n’est pas tout à fait vrai : les meilleures places sont de face, ni trop loin pour bien voir, ni trop près pour laisser le son se déployer). L’ouvreur, fort poli, repart sans pourboire (les pourboires sont interdits dans les théâtres publics mais restent de coutume dans certains théâtres privés). Notre spectatrice a des difficultés avec ses jumelles d’opéra (fort pratiques pour observer le détail des plateaux et des interprètes), mais surtout, elle s’inquiète de ne rien comprendre à une œuvre en italien. Richard Gere la rassure : “Croyez-moi, vous comprendrez, la musique est puissante” (une remarque parfaitement juste : si les opéras sont désormais équipés de sur-titres qui affichent le texte traduit en temps réel, l’idéal est de s’immerger dans le drame sans rien lire. Pour cela, vous pouvez préparer votre spectacle en lisant les arguments et analyses d’œuvres sur Ôlyrix). Une sonnerie retentit et les lumières clignotent pour annoncer le début du spectacle (dans la réalité, c’est plutôt une longue sonnerie qui annonce le début ou la reprise du spectacle après les entractes, et pour les spectateurs qui sont sortis prendre l’air à l’entracte avec un ticket remis à la sortie pour pouvoir rentrer, un membre de l’opéra bat le rappel). Avec ses jumelles, Julia Roberts apprécie de voir un orchestre et la musique commence sur les mots du personnage fortuné : “Les réactions des spectateurs allant pour la première fois à l’opéra sont toujours puissantes, soit un amour éternel soit une haine qui peut s’atténuer avec l’éducation, mais alors, l’opéra ne pénétrera jamais aux tréfonds de l’âme.”
Le montage musical qui suit respecte la chronologie de La Traviata, avec des coupes. La séquence commence avec l’ouverture, mais les premières secondes aux violons frémissants enchaînent directement sur le mouvement allant en fin de prélude. Puis, une ellipse jusqu’à l’air “Amor e palpito dell'universo” avec une soprano intéressante mais un “ténor” catastrophique qui chante en voix de fausset cette partie puissante. Fondu enchaîné sur l’un des airs les plus sublimes de l’art lyrique : “Amami, Alfredo, quant'io t'amo. Addio!” avant le Final “In me rinasce - m'agita insolito vigor! Ah! ma io ritorno a viver! Oh gioia!”. Ovation debout, bravi, larme à l’œil (obligatoire) et soulagement comique lorsqu’une auguste spectatrice demande à la candide néophyte si l’opéra lui a plu. Réponse : “c’était si bien que je me suis presque fait pipi dessus”. L’interlocutrice est choquée mais Richard Gere sauve la situation avec sa connaissance du répertoire de l’opéra : “elle dit qu’elle l’a préférée par rapport aux Pirates de Penzance” (il sauve la formule “peed my pants” en “Pirates of Penzance”, une œuvre à laquelle nous avons d’ailleurs dédié un Air du Jour).
Fatale Butterfly
L’un des plus beaux airs du répertoire, "Un Bel di Vedremo" composé par Puccini pour Madame Butterfly est présent tout au long du film Fatal Attraction (Liaison fatale d'Adrian Lyne, 1987). Un avocat marié (Michael Douglas) y vit une descente aux enfers après la liaison avec sa collaboratrice (Glenn Close). Les personnages font des références directes à Madame Butterfly et le film suit l’intrigue de l’opéra :
Cio-Cio-San, dite « Madame Butterfly », vient de se marier avec l’officier américain B.F. Pinkerton. Pour lui, elle a changé de religion et a été reniée par sa famille. Lui en revanche n’est que de passage et prend ce mariage à la légère en attendant de trouver une "vraie épouse américaine". Trois ans plus tard, l’officier est parti et Cio-Cio prie pour qu’il revienne.
Bohème de lune
Puccini est clairement apprécié des réalisateurs. Le cinéphile peut ainsi admirer La Bohème dans le film Moonstruck (Éclair de lune, 1987) avec Cher et Nicolas Cage. Ils se retrouvent devant le Metropolitan Opéra de New York au son de La Bohème de Puccini (opéra qui se déroule sous les toits de Paris et traite d'un coup de foudre amoureux, au clair de lune) :
Intouchable Weber
Sorti en 2011, le film Intouchables d’Olivier Nakache et Éric Toledano est le deuxième plus gros succès dans l’histoire du cinéma français avec 19,44 millions d'entrées et le film hexagonal le plus vu dans le monde. L’histoire relate la rencontre entre les univers d’un tétraplégique fortuné (campé par François Cluzet) et d’un aide à domicile de banlieue (Omar Sy). Celui-ci découvre l’univers de l’opéra avec l’esprit goguenard qui caractérise le film. Touchant de candeur, il n’en reste pas moins un cauchemar de voisin pour tout spectateur :
“L’arbre qui chante” est Max, le jeune chasseur ténor spinto (poussé) dans Der Freischütz (le franc-tireur) de Carl Maria von Weber. Max désire plus que tout remporter le concours de tir, devenir ainsi le chef forestier et épouser Agathe. Mais il vient de perdre et chante son désespoir à l’Acte I dans cette aria “Nein! länger trag’ ich nicht…Durch die Wälder, durch die Auen” :
« Non, je ne peux plus supporter le tourment, La peur qui vole tous les espoirs ! Pour quelle dette dois-je payer ? Qu'est-ce qui me pousse au mauvais sort ? »
De fait, contrairement à ce que suggère le film, l’opéra ne commence pas avec cet air.
Retrouvez les autres parties de ce dossier :
1ère partie : les biopics
2ème partie : guerre
4ème partie : action et science-fiction