Voyage d'Hiver avec La Belle Inconnue
Comme au milieu du salon de musique ou de l’atelier en train d’assister au travail se faisant, l'auditeur appréhende assurément cet album de la même façon qu’il approcherait le travail ciselé d’un artisan d’art, avec le sentiment d’avoir affaire à un objet rare et avec le respect dû aux choses qui expriment encore si fort l’âme de leur créateur. L’intimité créée par une réverbération assez courte donne l’impression d’être au plus près des interprètes, de ce piano et de cette voix qui s’accordent pour aller à l’essentiel, sans y ajouter l’expression dramatique à laquelle certains enregistrements historiques ont pu s'habituer.
La partition de Schubert est restituée dans une sorte d’épure. Le timbre chaleureux de Belinda Kunz se pose sur le piano de Jean-Dominique Burroni comme sur un délicat tapis de soie, qui ne vole jamais la vedette au texte chanté et qui articule même, avec beaucoup précision et de fluidité, les deux régimes si difficiles à associer de l’accompagnement et du dialogue avec la voix. Celle-ci, ainsi portée, se déploie à travers une maîtrise constante, sans artifice, sans excès, sans accès, qui lui donne un aspect tout à fait intemporel.
Ode aux éclaircies vespérales
À l’opposé des lectures crépusculaires et torturées de ce cycle qui livre, certes, le « Dernier espoir » (Letzte Hoffnung) à la vulnérabilité d’une feuille qui menace de tomber, c’est la sérénité qui semble ici avoir été choisie. Le piano de Jean-Dominique Burroni, sans aucune exagération dans les appuis, n’étire aucune note et privilégie le rythme, la souplesse et la légèreté. La voix de Belinda Kunz, quant à elle, n’est jamais forcée, elle s’exprime avec une douceur sans pathos, et s’en tient à la poésie des vers de Müller et de la musique de Schubert, dont il apparaît aussitôt qu’elle ne cherche qu’à se mettre totalement au service en se gardant de tout épanchement. Cette simplicité cultivée offre un bénéfice immédiat, celui de l'intelligibilité, non seulement des mots, mais même, et surtout, des Lieder pris comme ensembles poétiques indivisibles.
Cette sérénité et ce souci de restituer ces pièces dans leur pureté poétique se reflètent en outre parfaitement dans le boîtier du disque, dont le livret contient l’ensemble des poèmes et leur belle traduction, réalisée par Belinda Kunz elle-même, et dont la couverture, signée Nicolas Bonnamy, laisse apparaître une percée de lumière à travers la glace et évoque ainsi tout ce que cette tranquillité face au désespoir rend encore possible. De sorte que nul étonnement ne surgit à la lecture de ces mots rencontrés au milieu de la note d’intention qu’a également rédigée avec beaucoup de finesse Belinda Kunz : « le cycle est aussi rempli d’une lumière et d’une tendresse toute particulière. Par une métamorphose presque imperceptible, c’est bien en amour que la douleur semble se changer ». Une paisible tendresse qui se lit en outre dans une des photos des deux artistes, due à Marie Duisit, et qui semble avoir été prise, non pas dans la rigueur de l’hiver, mais un doux soir d’été, où le chapeau de paille est de mise, et le couchant, plein de promesses.