Broadway à L’Athénée
Bien que son nom n’y figure pas (et sans doute pour cette raison), tous les titres inscrits au programme renvoient à Stephen Sondheim, figure légendaire de la comédie musicale américaine, avec en premier lieu, West Side Story dont il est le parolier (musique de Bernstein). Puis s'enchaînent plusieurs titres de son catalogue figurant parmi quelques-unes des plus grandes comédies musicales américaines (Sunday in the Park with George, Into the Woods, Company, Sweeney Todd…).
Le florilège de chansons proposé ce soir révèle l’imaginaire prodigieux du compositeur notamment dans les sujets qu’il aborde. Dans Sunday in the park with George il évoque le peintre Georges Seurat sur l'Île de la Grande Jatte et questionne la place de l’artiste dans la société. Dans un autre registre, il fait se rencontrer les personnages des contes de Grimm dans Into the Woods donnant lieu à des situations cocasses. Le thème du mariage est également abordé notamment dans une scène hilarante de Company (« Not Getting Married today ») où la protagoniste est en proie à une véritable crise de panique le jour J. Le ton est à l’humour, noir dans Sweeney Todd contant la légende du barbier londonien qui assassinait ses clients, dont les corps servaient ensuite à sa complice pour garnir ses tourtes à la viande.
Cette grande variété de thèmes et d’histoires offre d’abondantes opportunités d’expressions que les trois artistes, la soprano Neïma Naouri, le baryton Pablo Campos, tous deux pourvus de micro hf (comédie musicale oblige) et le pianiste Alphonse Cemin abordent avec un enthousiasme contagieux et que le public peut appréhender grâce au sur-titrage des chansons.
Neïma Naouri excelle dans tous ces registres. La simplicité de son chant dans « Tonight » touche et elle entonne « Somewhere » dans une grande délicatesse que lui permet la sonorisation, sa voix faisant entendre un son semblable à celui de la vapeur au-dessus d’un plat. Elle navigue aisément dans les registres vocaux, des aigus suspendus en voix de tête rendant toute la candeur de Johanna dans « Green Finch and Linnet Bird », au registre de poitrine projeté vaillamment en conclusion de certaines chansons. Neïma Naouri, c’est également un tempérament, notamment dans le registre comique. À plusieurs reprises l’auditoire rit. Lorsqu’elle fait le clown dans « I feel pretty » ou lorsqu’elle incarne Cendrillon collée aux marches du palais engluées ... « c’est un prince intelligent » ironise t-elle. Maîtrisant parfaitement l’anglais (elle a fait une partie de ses études à Londres) elle joue la panique au bord de la crise de nerfs dans un débit de paroles impressionnant.
Retrouvez également l'interview de Neïma Naouri sur Classykêo
Sa voix s’accorde également à celle de son partenaire Pablo Campos dans une douce sensualité idoine aux duos amoureux du genre. La douceur, c’est ce qui caractérise tout d’abord le baryton. Sa voix demeure dans une intensité retenue, teintant son chant d’une simplicité touchante rendant toute la sincérité de ses déclarations d’amour. Le spectateur peine cependant à envisager le cynisme de Sweeney Todd comptant ses rasoirs et c’est un gentil loup qui hurle dans « Hello, Little Girl ». La suavité est également induite par un léger chuintement et une incorporation mesurée de sa voix qui confirme davantage le chanteur de jazz que de comédie musicale. Son engagement musical et son sens du phrasé révèle cependant un musicien accompli (son nom est connu du public de l’Athénée car il figurait au programme du précédent « Lundi musical » pour les arrangements de deux chansons).
Le troisième protagoniste de la soirée est le pianiste Alphonse Cemin qui, en plus d’être un soutien et un accompagnant solide, se révèle un pianiste talentueux. Il impressionne dans l’ouverture de West Side Story, rendant au clavier les couleurs orchestrales tout en claquant des doigts et en tapotant sa tablette pour tourner les pages.
Un grand nombre de proches et d’amis faisait partie du public ce soir et, au moment d’évoquer la dernière chanson de la soirée, un « Non ! » retentit, que la chanteuse identifie immédiatement comme la voix de sa mère, Natalie Dessay. Les trois artistes achèvent le concert sur un bis, « Move on » (aller de l'avant), ce que le public leur souhaite en faisant entendre des applaudissements chaleureux.