Les paysages amoureux de Véronique Gens
Alpha Classics d’une part, label qui trace ainsi plus en profondeur le sillon des récitals avec orchestre de Véronique Gens, après Passion, Visions et Nuits…
Le Palazzetto Bru Zane d’autre part, qui, comme le rappelle le livret, est un Centre de musique romantique française, se donnant pour "vocation la redécouverte et le rayonnement international du patrimoine musical français du grand XIXe siècle (1780-1920)".
L’Orchestre de la Radio de Munich (Münchner Rundfunkorchester) enfin, dirigé pour l’occasion par le chef français Hervé Niquet.
À l’origine de ce projet, l’érudit directeur artistique du Palazzetto Bru Zane, Alexandre Dratwicki explique en préambule, comment ce projet est né : “ Lorsque Berlioz orchestre en 1856 son cycle de mélodies avec piano intitulé Les Nuits d’été, sait-il qu’il invente le genre de la mélodie avec orchestre ? Et le mélomane d’aujourd’hui a-t-il une idée des centaines de partitions qui s’inscrivent dans cette lignée berliozienne ? Elles forment un continent musical quasiment oublié, dont ne survivent de nos jours, que quelques pages de Duparc et Debussy.”
Afin de pallier cet oubli relatif et néanmoins regrettable, Véronique Gens s’emploie ici avec l’ardeur de son savoureux timbre doré, à défendre ces paysages musicaux variés et évocateurs, qu’il s’agisse d’un paysage breton gris et opaque de Reynaldo Hahn, des tendres Chansons de Marjolie de Théodore Dubois, des orientales Roses d’Ispahan de Fauré ou encore de l’exotique Splendeur vide de Saint-Saëns.
La soprano française, qui a déjà prouvé avec éclat et envergure sa maitrise des grands cycles de mélodie avec orchestre (des Nuits d'été de Berlioz au Poème de l’Amour et de la Mer de Chausson en passant par les Chants d’Auvergne de Canteloube) signe ici un parcours minutieux et inspiré, avec essentiellement des découvertes et des pépites inconnues au récital comme au disque.
Véronique Gens déploie au fil des plages sa diction souveraine, dans le médium et dans le grave, et sa musicalité caractéristique sans faille, élégante et racée, servie par un souffle qui semble infini et une ligne majestueuse et souple. La délicatesse de ses pianissimi alterne avec cette pâte onctueuse et généreuse dans les crescendi, telle une crème délicatement fouettée et parfois subtilement rehaussée de fleur d’oranger. Les registres sont d’une homogénéité irréprochable, les aigus toujours ronds et pleins, dotés d’une chaleur solaire et d’un scintillement que les années de carrière scénique n’altèrent pas d’un iota. Son timbre voluptueux offre des images et des couleurs magnifiées, de l’innocence d’En Paradis de Dubois aux accents tragiques et désespérés de la Chanson du Pêcheur de Fauré.
Hervé Niquet l’accompagne avec fougue et emphase, à la tête de l’Orchestre de la Radio munichoise au son rond et étoffé, superposant avec limpidité les différents plans sonores (les interventions de bois sont particulièrement soignées dans le Clair de Lune de Fauré, ou bien les vagues chatoyantes des cordes dans Les Morts de Chausson, faisant regretter de ne pas l'entendre plus souvent en récital).
Certes le son est plus bavarois que français, avec ce fondu et cet impact franc et massif des attaques, mais toujours allégé par un souci permanent de phrasé et une belle vivacité dans les rythmes chaloupés de la Pastorale de l’Esclarmonde de Massenet par exemple.
En somme, ce parcours dans les mélodies françaises orchestrées se révèle tout aussi surprenant par sa diversité et sa richesse que par l’engagement profond de cette chanteuse qui a toujours défendu avec conviction et musicalité le répertoire du XIXe et début XXe hexagonal.