Mairi, Marianna, Maria – 3 prénoms, 3 visages, Une Diva : La Callas
"Mairi, Marianna, Maria : les années grecques inconnues de la Callas".
Tel est le titre de ce film documentaire qui sera retransmis le 2 décembre 2023 -jour des 100 ans de La Callas- à la Salle Stávros Niárchos de l’Opéra National de Grèce, et ce 8 décembre sur France 5 (nous vous donnons rendez-vous sur Ôlyrix et nos réseaux sociaux pour une journée Callas exceptionnelle à l'occasion de son centenaire le 2 décembre mais également le 3 ainsi que le 8).
Si le terme "inconnues" paraît excessif tant la vie d'une telle légende est passionnément documentée, c'est pour le moins un travail original, à la fois archivistique et vivant, qui est ici consacré à des années moins connues comparées à celles des triomphes ultérieurs. Moins connues, et pourtant essentielles, car si Callas est née aux Etats-Unis et y chercha déjà sa voix, c'est en Grèce qu'elle la trouva.
Une quête de la voix qui fut, toute sa vie durant, aussi une quête de soi, une recherche d'identité pour celle qui se plongea passionnément dans tant et tant de rôles sur les planches... Mais avant d'incarner à la scène Violetta, Norma, Lucia, Gilda, etc. etc., elle se donna différents prénoms à la ville (en même temps qu'elle raccourcissait son nom de famille) : marquant déjà ses aspirations et sa quête.
D'où le titre de ce documentaire "Mairi, Marianna, Maria".
Celle qui naquit Sophie Cecilia Kalos (le 2 décembre 1923 à New York) et fut baptisée Maria Anna Cecilia Sofia Kalogeropoulos, se présentait en effet sous le nom de "Mairi" au conservatoire d'Athènes à 14 ans (en 1937, l'année de son arrivée en Grèce) et signera sous le nom de "Marianna Kalogeropoulos" son contrat professionnel avec l'Opéra national en 1940. Un quatrième prénom aurait d'ailleurs pu être ajouté à ce titre, car juste avant de partir aux Etats-Unis, elle s'y projette déjà en se faisant nommer "Mary Callas".
Le documentaire retrace donc ces années grecques, de 1937 à 1945, la formation au Conservatoire et à l'Opéra, de cet incroyable talent forgé par un travail colossal. Forgé aussi face aux terribles épreuves : la Grèce est occupée durant la Seconde Guerre mondiale et les artistes doivent se produire pour les forces armées allemandes et italiennes.
Le contre-ténor musicologue Aris Christofellis -interrogé de nos jours dans ce documentaire- relie d'ailleurs les deux, le contexte et l'expressivité de la chanteuse (sans oublier les jalousies et moqueries terribles et constantes dont elle fut l'objet, sa propre mère la voyant comme le vilain petit canard). Le talent devint ainsi comme un "cri de l'âme exprimé par la voix pour raconter son histoire, se relier aux autres, être aimée." D'où l'intérêt de ce parcours audio-visuel, d'hier et d'aujourd'hui, historique et artistique dans les années et les lieux de sa formation.
Dr. Stella Kourmpana (Directrice des archives du Conservatoire d'Athènes) rappelle cet édifiant contexte, forcément bouleversant : pendant que la future Divina étudiait le chant et travaillait son expressivité théâtrale, ses compatriotes mouraient aux coins des rues et tous souffraient de la famine. Parmi les incroyables archives sur lesquelles s'appuie ce film, figure ainsi ce permis de 1942, autorisant Callas à rapporter d'un récital pour les 150 ans de Rossini à Thessaloniki, son salaire... en nature : du blé, mais les céréales, dans 70 sacs, avec aussi 7 sacs de raisin, 45 de riz, 70 de haricots, 70 de lentilles et 30 de pommes de terre ! loin du tournedos Rossini mais nourrissant et infiniment précieux à cette période (où même l'argent n'achetait plus assurément ces denrées, sur le marché noir).
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Le documentaire rappelle que les débuts professionnels de La Callas eurent lieu dans un cinéma (Le Palace) et non pas dans un théâtre car l'Opéra National ne disposait pas de bunker anti aérien. Dans une dynamique transition entre les époques, dans un saisissant sentiment d'actualité et d'éternité, la caméra parcourt alors ces lieux, cet abri de nos jours, comme il montre ce qu'il reste des endroits où Callas a vécu, appris, rayonné déjà : les images et les sons d'archives résonnent avec les voyages dans la nuit d'Athènes, les interviews de ses collègues d'hier avec celles des chercheurs d'aujourd'hui (les entretiens historiques de La professeure Elvira de Hidalgo dans son admirable français, avec les entretiens contemporains d'Ioannis Bastias, fils du directeur fondateur de l’Opéra National de Grèce, ainsi que l'actuel directeur artistique de l’Opéra National de Grèce, Giorgos Koumendakis).
Le film passe rapidement sur les périodes en-dehors de la Grèce, mais évoque bien entendu les triomphes à travers l'Europe et au-delà, la fin également, à Paris. Toutefois, cette incroyable existence et carrière donne aussi l'occasion de parler des deux autres retours au pays, ceux de La Callas cette-fois au sommet de sa gloire (quand l'article "La" devient presque un cinquième prénom) : pour chanter au pied de l'Acropole en 1957 et au Théâtre d'Épidaure en 1960-1, mais aussi son séjour, plus tard, en vacances, où elle est infiniment émue d'être immédiatement reconnue, où qu'elle aille.
Quels que furent ses prénoms, et malgré les épreuves, elle aura eu le temps de voir qu'elle avait su, par sa voix et ses incarnations théâtrales, se faire un nom. Pour l'éternité.