Trois Divas à Versailles en point d'orgue des récitals Met Stars Live
Le moment invite ainsi à tirer un bilan de cette série inédite et d'exception, qui aura eu jusqu'aux défauts de ses qualités et que cet ultime récital incarne pleinement, visiblement et audiblement.
Le programme étincelant et superlatif comme le lieu assume encore et toujours la grandeur jusqu'au clinquant. Les morceaux choisis sont même ici un patchwork, une compilation d'airs français, italiens, espagnols : de valse en barcarolle romantiques, de canzona classique en canción populaire (d'Italie en Espagne), le tout parsemé de pépites et de tubes (jusqu'à Bésame Mucho). Le programme ne prend pas la peine de proposer un ensemble cohérent ou un discours autre que de surface (comme c'est le cas pour la présentation des lieux, extasiée devant les "scintillements" et "le fantôme de Marie-Antoinette").
Nadine Sierra, encore davantage que ses deux collègues, place et fait résonner l'amplitude de sa voix dans cette acoustique si particulière faite de dorures et de sièges vides (résonnant de fait mais toujours dans son écrin). La voix rayonne quoiqu'un peu raccourcie pour certaines tenues (hormis les fins d'arias très nourries) et en difficulté sur les vocalises (imprécises et glissantes) mais retrouvant finalement leurs couleurs, chaudes lorsqu'elles mènent au grave, scintillantes quand elles montent à l'aigu. D'autant que la soprano américaine (malheureusement privée de La Somnambule au Théâtre des Champs-Elysées en juin prochain, car atteinte de Covid pendant la période de répétition, et qui s'offre ici une autre splendide raison de venir tout de même en France) ne déploie plus que ses qualités dès son deuxième air "Crudele? ... Non mi dir" de Donna Anna, traduisant justement la douleur de devoir repousser un bonheur (celui d'épouser Don Ottavio dans l'opéra Don Giovanni de Mozart, celui de retrouver le public dans l'après Covid-19). La voix sculptée avec matière et clarté sur tout l'ambitus marie la rondeur des graves aux résonances aiguës dans un chant long et complet, homogène de technique et animé d'expressivité.
Isabel Leonard reste pour sa part clairement en difficulté dans les vocalises et les nombreux graves des airs choisis (la voix de poitrine pourtant visiblement travaillée n'a pas le temps de s'installer sur le rythme précipité de grands mouvements vocaux approximatifs). La sortie du grave se fait toutefois vers des résonances aiguës, rappelant son puissant enthousiasme à moduler les registres dramatiques et vocaux, d'autant que, mezzo parmi les sopranos, elle doit assumer l'ancrage grave du récital.
L'aigu d'Ailyn Pérez s'altère dans une forme d'amertume (parfois aux bords de l'aigre) jusqu'au médium de la voix, qui sinon détimbre dans les vocalises. Pourtant, la soprano sait aussi en faire une arme vocale expressive (de chant et de jeu), dans les morceaux plus dramatiques ("Stridono lassù” de Pagliacci notamment), avec la constante de sa conduite de voix et de phrasé.
Les trois solistes chantent ensuite dans les trois configurations de duos possibles, y partageant et échangeant ainsi leurs atouts : dans la Barcarolle des Contes d'Hoffmann Nadine Sierra et Isabel Leonard déployant la chaleur de la mezzo (quoiqu'encore un peu trop grave) et la douceur des aigus soprano, Isabel Leonard et Ailyn Pérez se complétant en mutinerie et caractère mutin pour Cosi fan tutte, avant que le duo de Norma entre Nadine Sierra et Ailyn Pérez ne fasse passer le lyrisme au fil de la longueur vocale.
Après les solos et les trois duos, vient naturellement le trio : le trio final du Chevalier à la rose (après le précédent récital Met Stars Live qui se refermait par un quatuor final, celui extrait de La Femme sans ombre du même Strauss). Les voix et les visages (et le pianiste bondissant) se déploient et se mettent à rude épreuve, dans un grand crescendo, déployant encore les beautés (mais aussi les défauts) exprimés tout au long de ce concert.
Isabel Leonard prend alors la parole entre deux sanglots pour annoncer une seconde partie du récital, hispanisante résonnant avec des origines des chanteuses et faisant résonner les répertoires (de Carmen à Bésame Mucho et Cielito Lindo en passant par une Canzonetta spagnuola de Rossini et Le Barbier de Séville, mais de Giménez). Les solistes continuent non seulement de s'encourager et de se congratuler par les accords de leurs voix chantées mais aussi par des paroles admiratives superlatives judicieusement diffusées également par les microphones de cette captation.
Le piano dialogue tout autant avec les chanteuses, se faisant guitare avant que n'entre en scène la "guest star" finale : le guitariste Pablo Sáinz-Villegas. Les trois divas ôtent leurs chaussures et encouragent le public à chanter chez soi Bésame Mucho devant l'écran et elles trinquent même à la Tequila-citron, buvant et levant leurs verres à la chanteuse-présentatrice Christine Goerke qui depuis la régie à New York, trinque également à la santé de cette série de concerts, et à la réouverture tant attendue du Met, tant espérée pour l'automne.
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