Récital des lauréats du Concours Nadia et Lili Boulanger en direct de la Salle Cortot
Comme le rappelle Anna Sigalevitch présentant le concert, le Concours Nadia et Lili Boulanger met à l'honneur des duos d'artistes à (deux) parts entières, la rencontre et le dialogue du piano et de la voix. L'union des interprètes résonne avec la réunion des créateurs (poètes et compositeurs), réunion qui définit les genres de la mélodie et du Lied, permettant à nouveau d'apprécier ici Leconte de Lisle mis en musique par Gabriel Fauré, Henri de Régnier par Reynaldo Hahn, Rémy de Gourmont par André Caplet, Heinrich Heine par Schumann, Schlegel par Schubert (chacun des deux duos d'interprètes récompensés, respectivement pour la mélodie française et le Lied allemand, interprétant néanmoins et heureusement chacune de ces deux langues) et bien d'autres dont évidemment Nadia Boulanger pour un texte de Paul Verlaine et Lili Boulanger pour ceux de Francis Jammes ou Bertha Galéron de Calonne. Les deux compositrices ont donné au Concours leurs noms et leurs esprits : celui valorisant l'union du mot et du son depuis l'Antique jusqu'au contemporain (le programme comportant également une Féerie au clair de lune d'Henri Dutilleux sur un poème de (Raymond Genty).
Le ténor français Ronan Caillet et le pianiste allemand Malte Schäfer incarnent le mariage des styles, par leurs nationalités et surtout l'union de leurs talents. Le chanteur et le pianiste conservent une grande élégance dans le port vocal et instrumental (et scénique), la noble articulation de la voix comme du clavier traduit les beautés du style, des paroles poétiques et des phrasés musicaux. Le chant du ténor est appuyé d'un vibrato serré qui ne se tend que dans l'aigu (mais se tend beaucoup, autant que la voix monte en volume). Le reste de l'ambitus est toutefois très confiant, permettant même au chanteur de soulever quelques aigus aussi tendres et rares que précieux. Dans les Lieder comme dans les mélodies, les deux musiciens jouent pleinement les styles, ambiances et personnages des poèmes. L'articulation et le sens restent très clairs, dès le tout début du premier Lied choisi qui joue pleinement sur l'antiphrase ("Nicht so schnelle, nicht so schnelle!" "Pas si vite, pas si vite !", justement assumé à toute vitesse). Le pianiste s'exprime dans la langue à la fois universelle et particulière de son instrument, en sonate et concerto, sonnant et de concert avec le chanteur. Il inspire et expire avec les lignes de chant, ses accents souples et marqués jusqu'à la virtuosité.
Le duo féminin est également à l'unisson, par sa propre et pleine harmonie, en accord constant et soutenu pour valoriser ensemble les mêmes contrastes offerts par les œuvres. Le son de la voix et celui du clavier sont amples et résonnent avec volume et chaleur dans cette salle boisée décidément faite pour la musique de chambre (cette Salle Cortot qui héberge aussi bien le Centre de Musique de Chambre de Paris que Le Printemps de la Mélodie et toute une saison de concerts).
La mezzo-soprano ukrainienne Ekaterina Chayka-Rubinstein a également un vibrato rapide, mais dans le corps de la voix (plutôt qu'en fins de phrasés) et elle peut s'en servir pleinement pour tenir ses lignes intenses et montées vers des lyrismes plus que prometteurs pour une carrière d'opéra. Ces appuis associés à la rondeur de la voix et à la franchise de l'articulation donnent naturellement aux Lieder et mélodies leur ampleur lyrique (jusqu'en un grave creusé profondément), mais la fraîcheur des harmoniques conserve pleinement le style romantique et chambriste. L'union entière de ces qualités complémentaires est magnifiée (avec un accent encore plus slave) "Dans l’immense tristesse" de Lili Boulanger : toujours à l'unisson de la voix et du piano qui naviguent dans les plus grandes profondeurs du grave et du cimetière où se déroule ce poème signé Bertha Galéron de Calonne, mais baignées également par les aigus argentés de la lune qui éclaire cette scène.
Face au Windes Rauschen (grondement du vent : poème de Schlegel mis en musique par Schubert), le ténor vient même tourner les pages de la pianiste israélienne Maria Yulin, le clavier et la chanteuse balayant l'ambitus de leurs instruments avec là encore une rapidité maîtrisée : ébouriffante.
La prochaine édition du Concours de chant-piano du CNLB (qui se tient à Paris tous les deux ans) aura lieu du 9 au 12 décembre 2021 avec un prix spécial dans le cadre des commémorations du centenaire de la mort de Déodat de Séverac.