Les Sept (vibrantes) dernières paroles du Christ à l'Opéra de Limoges
Ici donc, point question de Joseph Haydn, dont la mise en musique des Sept dernières paroles du Christ en Croix a bien plus largement marqué la postérité, tant dans sa composition orchestrale que vocale. La version mise à l’honneur par l’Opéra de Limoges a presque un siècle de plus (elle fut créée en 1867, contre 1786 pour Haydn), et fut signée de la main du compositeur français Théodore Dubois, auteur de près de 500 œuvres entre autres opéras-comiques, concertos, symphonies ou pièces pour orgue. Jusqu’à sa mort, en 1924, celui qui fut aussi maître de chapelle à la basilique Sainte-Clotilde puis à l’église de la Madeleine à Paris se consacra en outre à l’écriture de nombreuses pièces religieuses, s’attachant notamment à mettre en musique, comme bien d’autres avant (et après) lui, les dernières paroles du Christ crucifié telles que décrites dans les évangiles. En découlèrent, en à peine vingt jours de travail, ces Sept dernières paroles du Christ d’abord composées pour une formation orchestrale réduite puis, face à la popularité croissante de la pièce (qui s’exporta même outre-Atlantique) pour un orchestre de plus grande ampleur.
Une partition reconstituée
De cette œuvre, l'Opéra de Limoges donne ici la version initiale, telle que reconstituée par le jeune chef d’orchestre et organiste Anthony Vigneron, qui s’est livré à un minutieux travail de recherches pour reconstituer une partition “originelle” ayant depuis longtemps disparu. Effort ô combien payant, puisqu’en ressort ici une interprétation d’une beauté certaine, où Chœurs et Orchestre de l'Opéra de Limoges, orgue et solistes, dans un même élan d’une solennité jamais excessivement sombre ou forcée, restituent pleinement le lyrisme et le romantisme de l’œuvre de Dubois, oratorio à la fois tendre et puissant nanti de réelles sonorités d'opéra (rappelant Gounod ou Massenet). Application et musicalité sont de rigueur à l’orchestre où, de l’introduction jusqu’au dernier souffle de l’ultime parole, toutes les parties sont abordées avec les justes élans par la vingtaine de musiciens disposés sur scène. Douceur chatoyante du hautbois et de la clarinette, tendresse du cor et majesté du trombone, sonorités quasi oniriques de la harpe : individuellement, les pupitres s’illustrent autant que le collectif qui, porté par des cordes pleinement expressives dans le fuoco comme dans des langueurs plus éplorées, offre ici un panel de nuances et de tempi recomposant une atmosphère ante mortem dont l’obscurité paraît en l’espèce bien plus lumineuse que complètement ténébreuse. Une interprétation efficace et expressive qui doit beaucoup à la direction précise d’Edward Ananian-Cooper qui, sur un rythme certes modéré mais jamais poussif, parvient à tisser une ligne musicale et vocale à l’appréciable homogénéité. Aussi nombreux que les musiciens, les choristes se montrent irréprochables de justesse et de cohésion, l’ensemble des tessitures étant porté par un même allant et par une unité sonore venant donner au chœur sa juste et prépondérante place dans le déroulement dramatique de l’oratorio.
Première à prendre la (sainte) parole, la soprano Hélène Carpentier se distingue d’emblée par une saisissante autorité vocale. Le timbre est clair et lumineux, l’émission aussi soignée qu’homogène sur toute l’étendue d’une ligne vocale que délimitent des aigus étincelants et des graves évanescents, et que vient magnifier par doux moments l’emploi d’un chant mezza voce aux sonorités éthérées.
Bien que présenté comme souffrant, Alexandre Duhamel n’en impose pas moins une présence sonore remarquée, par sa voix de baryton au timbre chaud émis avec aisance. Les “Pater” de la Deuxième parole (en parfaite harmonie avec le cor puis la harpe) comme les “Deus Meus” de la Quatrième sont chantés avec toute la majesté et la solennité requises, symbolisant là une prestation portée par une expressivité vocale visant toujours au plus juste.
Dernier membre du trio de solistes, Kévin Amiel déploie avec énergie et sensibilité sa voix charnue au timbre clair et argenté. Doublé d’articulations incisives, le souci de polir avec soin et raffinement la ligne de chant est perceptible dans chacune des interventions du jeune ténor toulousain, à la maturité vocale désormais certaine, même si cette quête souffre parfois de quelques approximations en termes de justesse. Mais pas de quoi ternir une performance somme toute de fort bon aloi, à l’image de celles livrées par ces trois solistes qui, chacun à leur tour ou communément, trouvent d’ailleurs à rentrer en fusion avec les choristes disposés derrière eux, comme en conclusion d’une Septième parole (“Adoramus te, Christe”) venant conclure d’un triple piano religieux un oratorio dont il faut saluer la reconstitution si puissante et distinguée telle qu’ici captée.