Roman et lyrisme : une soirée avec Maupassant, Perbost et Ambroselli pour le CNLB
L’idée de mêler extraits littéraires et extraits chantés ne date pas d’hier mais elle trouve dans le spectacle proposé par Marie Perbost et Joséphine Ambroselli une forme renouvelée. Le choix de n’utiliser qu’un seul texte, un roman de surcroît, permet de donner une trame unique à la soirée sur laquelle viennent se greffer mélodies et Lieder au rythme du vécu et des émotions du personnage. Ici, en l'occurrence, les (télé)spectateurs sont invités à suivre Jeanne (Une vie de Maupassant) à laquelle la chanteuse française, Révélation lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2020, prête voix, corps et visage. La pianiste et fidèle accompagnatrice de l’artiste, avec qui elle a enregistré Une jeunesse à Paris, prête également sa voix parlée à l’intrigue. L'entrecroisement du talent de conteuse et du talent musical des deux femmes parvient à donner vie à un roman lyrique plein de tendresse.
La disposition de la salle est sobre et élégante : un grand tapis éclairé se détache de la pénombre. C’est sur lui que déambulent les deux interprètes, habillées en noir, entre le piano luisant et un discret fauteuil. La mise en scène de Jean Chaffard-Luçon est simple mais efficace, tirant de l’expressivité de Marie Perbost de beaux moments poétiques. Les morceaux, extraits du répertoire français (Fauré, Debussy, Hahn, Poulenc) et allemand (Brahms, Wolf, Strauss, Schubert) des XIXe et XXe siècles, apportent à l’univers maupassien des couleurs résolument romantiques, associant à la narration vive de l’écrivain français le lyrisme de poètes tels que Verlaine, Apollinaire, Goethe ou Heyse (entre autres).
Marie Perbost entame sans plus tarder la première mélodie de la soirée, “Puisque l’aube grandit” (Fauré, Verlaine), qui révèle une ligne de chant un peu instable où la voix ne parvient pas à s’ouvrir complètement. Elle finit par se chauffer au gré des morceaux, mais sans jamais offrir un legato libéré d’un certain poids, notamment dans le bas du registre aigu. C’est d’autant plus regrettable que le passage à l’aigu, lui, se pare vite d’un brillant et d’une netteté qui serait appréciable sur toute la tessiture. Le deuxième morceaux, “Unbewegte laue Luft” (Brahms, Daumer) emporte ainsi immédiatement dans des sons cristallins, maîtrisés et plein de couleur. C’est d’ailleurs dans le répertoire allemand que la chanteuse convainc le plus : l’émission paraît plus sûre et la diction beaucoup plus claire. Les voyelles françaises, elles, sont souvent émises sans précision, changeantes parfois sur plusieurs notes alors qu’elles ne sont associées qu’à une seule syllabe, ne rendant de ce fait les poèmes compréhensibles qu’après un certain effort.
Joséphine Ambroselli accompagne avec ductilité les extraits musicaux, sans jamais mettre en péril ou couvrir la voix de sa compagne musicale. À cet égard, “Gretchen am Spinnrade” (Schubert, Goethe) est un bon exemple d’attention et de complicité artistique, tout comme le dernier Lieder norvégien “Zur Rosenzeit” (Grieg, Goethe). Durant ce dernier morceau, Marie Perbost vient s’asseoir derrière la pianiste, là où elle avait entamé le premier extrait de ce récital, ce qui permet de profiter à la fois des gestes amples et envoûtants de l’instrumentiste et de l'affaissement physique, théâtral renfermement sur elle-même de la chanteuse-Jeanne, envahie par ses souvenirs heureux et révolus. La lumière s’éteint tandis que le dernier accord s’échappe et que le roman se referme.
La soirée s'achève sur une interview, menée par le baryton François Le Roux qui avait présenté le spectacle une heure plus tôt, où l'occasion est donnée de se plonger un peu plus dans les coulisses du spectacle grâce aux explications et aux personnalités attachantes des deux femmes. Les applaudissements, généreux quoique peu nombreux, récompensent l'idée, la réalisation et la dévotion des artistes.