Actéon de Charpentier par Les Cris de Paris, émouvante tragédie captée au Châtelet
Lors d’une tournée dans quelques-uns des rares festivals estivaux et automnaux ayant courageusement eu lieu en 2020, notamment le Festival d’Ambronay, Les Cris de Paris présentaient leur travail en cours autour d’une adaptation de la tragédie lyrique Actéon, court « opéra de chasse » composé en 1684 par Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) à partir du mythe du prince éponyme qui, ayant surpris la déesse Diane prenant son bain, souffre une cruelle vengeance. Admiratif du travail des musiciens lors de ces premières versions de concert, le spectateur se montrait déjà impatient d’en découvrir le résultat final avec mise en espace et grand effectif. Son attente est récompensée par une captation vidéo qui ne laisse pas indifférent.
Accueilli dans les sombres tréfonds de la scène du Théâtre du Châtelet, le téléspectateur se laisse porter par la voix langoureuse de « la femme qui rêve », personnifiée par l’envoutante comédienne Judith Chemla. Des dessous jusqu’à la scène en passant par les coulisses, elle conte le résumé de l’intrigue. Sous la direction -aux allures aussi humbles qu’elle est investie- de leur chef Geoffroy Jourdain, les instrumentistes des Cris de Paris débutent alors, dans une interprétation aussi vivante que profonde, le prélude d’Actéon. Leur ritournelle instrumentale qui clôt la scène 4 est particulièrement émouvante. Bien qu'ils soient parfois invisibles, les musiciens restent toujours présents sur scène, accompagnant avec gravité et couleurs les chanteurs qui occupent tout l’espace scénique sans jamais l’envahir. Ceux-ci savent également faire preuve d’une palette de couleurs harmoniques et vocales, dont la prise de son réussit à saisir certains effets de spatialité en valorisant intelligemment le timbre d’un ou d’une choriste (si celui-ci ou celle-ci est proche de la caméra).
Les deux protagonistes, Actéon et Diane, sont évidemment à l’honneur. L’Actéon du ténor Constantin Goubet, au timbre et au texte particulièrement clairs, sait toucher le cœur de l’auditeur dès son premier air « Aimable Reyne des forêts ». Il laisse toutefois regretter le fait que l’orchestre prenne le dessus lors de son air « Agréable vallon, paisible solitude ». La belle et terrible Diane est incarnée par la soprano Adèle Carlier, à la voix tout à fait charmante, radieuse et douce à l’image de cette déesse qu’il faut pourtant craindre. Son texte manque parfois de consonnes pour être parfaitement clair, mais son jeu scénique finit de convaincre. Marielou Jacquard est également convaincante dans son rôle de déesse vengeresse Junon par sa voix affirmée.
L’occupation scénique des chanteurs est un élément fort de cette réalisation dirigée par le comédien Benjamin Lazar en collaboration avec le réalisateur Corentin Leconte : le téléspectateur est comme lui-même présent sur scène, se promenant sur la scène comme s’il suivait les protagonistes lors de leur chasse en forêt, sans qu’il n’y ait aucune coupure. Si les décors d’Adeline Caron –qui signe également les costumes d’allures Belle Epoque– se veulent relativement simples et peu nombreux, ils ont le grand mérite de situer l’action sans tromper le spectateur, dont l’attention n’est ainsi attirée que par l’expressivité des chanteurs et de la musique. D’autant que l’ensemble est rehaussé par une photographie particulièrement belle, sublimée par des jeux de lumières et d’ombres équilibrés aussi efficaces qu’originaux.
Le public des Festivals de l’été dernier peut donc être ainsi à la fois heureux et déçu de redécouvrir un aboutissement en vidéo de cette courte mais intense tragédie de Charpentier. Les nombreux autres ont le grand privilège de découvrir, à leur tour, cette vision d’une œuvre qui saura arracher une petite larme face au malheur du pauvre Actéon.