Récital des Prégardien à La Monnaie pour le mois Mozart numérique
Parmi cet éloquent programme de streaming, le concert Mozart Akademie qui réunira Raphaël Pichon et la soprano Sabine Devieilhe, l’Opéra Der Schauspieldirektor, le concert de l’Orchestre Symphonique de la Monnaie Mozart - Symphonie 39, et notamment, en ouverture de cette micro-saison mensuelle, le duo père-fils Christoph et Julian Prégardien autour des Lieder Romantiques de Schubert, Mozart, Brahms et Friedrich Silcher. Une façon malicieuse de laisser chacun renouer chez soi avec l’intime de la musique peut-être un peu perdu en ces temps difficiles, via la gratuité d’un streaming offrant à chacun un petit temps romantique bien à soi.
La version chorégraphique et musicale du spectacle de Christoph et Julian Prégardien était offerte à la Philharmonie de Paris la semaine dernière (à revoir et relire ici) : cette fois, c’est plus intime encore que s’offre le duo de chanteurs. Toujours point de public, point d’applaudissement, mais juste le vide d’une grande salle pour cueillir les notes nostalgiques des Lieder des ténors. Accompagnés au piano par Michael Gees, les notes sombres de notre grisaille quotidienne viennent se parer d’un chroma nouveau, bousculant le silence à deux voix.
En effet, si la partition originale des Lieder est pensée pour une voix solitaire, père et fils proposent ici une âme à deux faces, une complétude des sentiments humains grâce à de fines variations partagées. Entre narrateur, acteur, âme dédoublée, le Lied s’offre riche encore et complexe toujours. Pensé comme une balade des sentiments humains, le récital s’ouvre sur le répertoire Mozartien, enlevé, puissant et véloce, les deux chanteurs dialoguant autour d’une Sehnsucht nach dem Frühlinge et d’un adieu sensible avec Abendempfindung an Laura (Nostalgie du printemps et Sensation du soir).
Ännchen von Tharau chante la petite Anna de Silcher avec toutefois un dessin plus puissant, plus masculin, plus proche de ses origines folkloriques encore. Auf dem Wasser zu singen (À chanter sur l'eau) de Schubert se dédouble et se joue d’un nouveau rythme plus tiré, plus rythmé, plus infléchi par un Romantisme indolent, tout comme la sublime interprétation du Meeresstille (Mer calme), profond d’une abyssale lenteur de l’eau et de son pensant silence. Die Sonne scheint nicht mehr (Le soleil ne brille plus) de Brahms est ardent, solaire et ondulant à la mesure des rayons solaires que regrettent les auditeurs confinés en ce mois de février, In stiller Nacht (Nuit silencieuse) raisonne sur deux âmes tristes qui se répondent avec torpeur. Enfin, Schubert et son Erlkönig (Roi des Aulnes) trouve ici une intensité plus baroque à la façon d’un dialogue entre deux âges, père et enfant malades se parlent dans la nuit hallucinée, qui prend alors tout son sens en dédoublant deux parties chantées.
Le voyage intime qu’est le Romantisme se partage à deux, preuve en est l’ultime Nacht und Träume (Nuit et Rêves) de Schubert qui vient clôturer une heure de récital, véritable onguent de l’âme hivernale.
Disponible en retransmission le temps de se soigner un peu grâce au streaming.