Master-Classe de Barbara Hannigan à l’Opéra Comique
Les quatre jeunes chanteurs ont été soigneusement choisis par Barbara Hannigan, formant un panel de voix allant du contre-ténor au soprano colorature. La maestra invite chacun et chacune à présenter son air dans le contexte dramaturgique de l’opéra. Trois adjectifs leur sont demandés pour caractériser l’état du personnage au cours de l’extrait.
Un auditoire restreint mais bien présent alors, avait déjà pu apprécier Paul Figuier avec le pianiste Joseph Birnbaum à l’Opéra Comique lors de la master-classe de Karine Deshayes pour Tous à l’Opéra. Musicienne et pédagogue, Barbara Hannigan invite le jeune contre-ténor à résumer les points sur lesquels il doit se concentrer dans l’air “Welcome Wanderer” (rôle d’Oberon dans Le Songe d'une nuit d'été de Britten) à savoir le sens royal du personnage, son attitude autoritaire, ainsi que la qualité de la diction en anglais. Dans un deuxième temps, il définit les émotions qui traversent son personnage : sensualité, vengeance et mystère. La souplesse vocale et la richesse de timbre de ce chanteur à la voix intense manie avec une grande décontraction sa variété de couleurs vocales : un aigu d’une infinie douceur et un medium généreusement coloré. Cet air lui sied particulièrement car il utilise une grande partie de la tessiture de contre-ténor. Par ailleurs, les mélismes qu’utilise Britten pour mettre en valeur chaque mot, se déploient tout naturellement et remplissent la salle dans cette captation sonore. Il est invité par la cheffe à goûter les mots, leur saveur, la sensualité de la prononciation, à saisir toutes les nuances du clair-obscur, sans oublier le côté percussif des consonnes donnant ainsi du relief à la ligne mélodique. Barbara Hannigan axe aussi le travail sur l’état émotionnel du personnage. Paul Figuier s’exécute et le personnage d’Oberon prend de l’ampleur et de la subtilité.
Floriane Hasler, accompagnée d’Antoine Dutaillis au piano, déploie sa voix de mezzo-soprano dans un registre sombre et dramatique pour "Where shall I fly" (Hercule de Haendel). Son personnage de Déjanire, en proie à la folie, voit venir les furies tourmenter son âme coupable. Le chant est coloré et convaincant, avec l’épaisseur du personnage. Le texte anglais est maîtrisé, dans la vitesse et la vocalité. Son récitatif est habité et d’un spectaculaire renforcé par la grande virtuosité de l’air. Barbara Hannigan invite Floriane Hasler à définir les différents états du personnage, utiliser son corps pour que les émotions puissent s’exprimer plus pleinement. Elle insiste sur le poids des mots, des consonnes sifflantes, et attire l’attention de la jeune chanteuse sur la qualité des harmoniques d’un bas medium pour lui donner toute son épaisseur. Les changements d’émotions doivent être clairs. Elle améliore ainsi son legato dans les grands intervalles d’une même phrase, le personnage est posé.
Clarisse Dalles, avec Antoine Dutaillis au piano, chante l’Air de la gouvernante (Le Tour d'écrou de Britten) qui se situe au moment où apparaissent les fantômes. Le timbre de la jeune soprano emplit le foyer acoustique par sa largeur et son spectre harmonique équilibré. Elle incarne cette gouvernante les pieds sur terre, d’une voix ancrée dans le corps. Barbara Hannigan lui fait travailler la prononciation mais surtout le poids des mots et des consonnes qui donnent du relief au texte pour en saisir toutes les nuances. Elle lui fait sentir l’importance de la durée de chaque voyelle et consonne, à goûter sans modération. Elle insiste également sur la couleur des voyelles et va jusqu’à évoquer un ouvrage de référence sur la prononciation anglaise : Singing and communicating in English de Kathryn Labouff. La maestra conclut ainsi : « chanter avec le corps, c’est accepter l’entièreté de la voix ».
Enfin, Anne-Laure Hulin s’attaque avec le pianiste Romain Vaille à l’Air de la folie (Platée de Rameau), air connu pour sa virtuosité colorature -et ses mémorables interprétations. Alors comme pour s’en distinguer, Anne-Laure Hulin en propose une version « connectée ». Armée de son téléphone portable, elle s’adresse à lui comme s’il devenait un personnage qui la comble ou qui la déçoit. Son timbre léger et brillant dessine les lignes mélodiques avec un naturel qui fait oublier la difficulté de cet air rapide et virtuose. Son placement vocal est très haut dans le masque, ce qui lui permet toutes les folies d’une colorature, d’autant qu’elle varie les articulations pour pimenter et ajouter plus de dérision. Barbara Hannigan lui fait prendre conscience d’une tension dans la mâchoire puis l’amène à varier les expressions corporelles en fonction des métamorphoses et des vocalises du personnage. Elle améliore un legato sur une vocalise et l’amène à éclaircir la relation au public et au téléphone. Elle identifie un moment où le personnage devient vulnérable et reprend le contact avec l'assistance. La jeune chanteuse emmène ainsi le public connecté (à distance) dans son univers virtuel en donnant une certaine humanité au personnage malgré sa folie débordante.
Ainsi s’achève cette master-classe remarquée par la qualité des conseils prodigués par Barbara Hannigan ainsi que par la musicalité et la technique des étudiants.