Dreams par Le Banquet Céleste : l’Opéra de Rennes confiné rêve en streaming
Dreams n’a pas pu se dérouler devant du public comme initialement prévu, en raison du couvre-feu puis du confinement, mais le spectacle enregistré sera retransmis (sur cette page à partir du 20 novembre 18h et pendant un an).
Chanteur en premier lieu, Damien Guillon avait enregistré en 2009 un CD autour de Dowland (Lute songs) et rend régulièrement hommage en concert aux compositeurs du baroque anglais : John Dowland et Philip Rosseter, puis leurs successeurs Purcell et John Blow.
L’idée lui est venue de mettre en image ces sublimes musiques empreintes de poésie et de mélancolie et de mettre ainsi en phase le public, initié ou non, avec l’esprit de l’époque. Pour cela, il fait appel aux metteurs en scène Cécile Roussat et Julien Lubek, connaisseurs de la musique ancienne. En résulte une rencontre inattendue qui permet de découvrir le chanteur dans un rôle tout autre : celui du personnage principal d’une mise en scène.
Devenu le protagoniste, il incarne un spectateur parmi les autres, paradoxe en cet après-midi où la salle est vide de tout public ! Au lever de rideau, il découvre l’univers fantomatique et mystérieux de trois musiciens s’éveillant dans un décor rappelant les tableaux des Vanités du XVIIème siècle. Attiré, il se lève et rejoint la scène en entonnant What then is love but mourning? (qu’est-ce que l’amour sinon une douleur que l’on porte) de Rosseter.
Arrivé sur scène, il s’approche du clavecin, touche quelques notes, hésitant à poursuivre puis il est rejoint par les musiciens (enfin éveillés) pour Strike the viol de Purcell. La basse obstinée (le ground) sur Here let my life (que ma vie désormais en silence s’en aille) installe le temps qui se déroule implacable, inexorable et dévoile l’issue tragique de ce voyage. Le monde reprend vie à la chaleur des bougies, le chanteur fait la rencontre de son propre reflet (interprété par le danseur-acrobate Aurélien Oudot) et tous les deux, corps et voix réunis partent à la découverte des tourments de l’âme. Le choix des pièces musicales s’articule pour développer des affects : il n’y a pas d’intrigue mais un parcours musical. Les textes choisis se rapprochent encore et toujours des Vanités picturales dans leur invitation à une méditation sur la solitude, sur la mort et rappellent l’injonction centrale du XVIIème siècle : Mementi mori, rappelle-toi que tu vas mourir.
La symbolique des vanités est également présente dans cette mise en scène fantastique utilisant quelques effets de magie, habilement répartis au gré des pièces vocales ou instrumentales : le sablier (devenant matière de jeu pour l’acrobate) et les bougies qui se consument rappellent la fuite du temps et la brièveté de la vie, dont la fragilité est suggérée par des bulles de savon emplies de fumée, des instruments de musique, un papillon (aussi symbole de l’âme), la plume insaisissable d’un amour impossible, le crâne posé sur la table ou devenant la tête d’une créature évanescente. Sur O Solitude ultime chant, les solitudes se multiplient par un effet magique de projection du corps du danseur devenu translucide.
Autour de cette thématique sombre de la Vanité, les deux metteurs en scène ont construit un décor très poétique à l’image d’un cabinet de curiosités. Mais le choix des pièces n’est pas centré uniquement sur la mélancolie, il propose également quelques morceaux plus énergiques, notamment les pièces instrumentales. Le décor (en partie mobile) se transforme, les musiciens du Banquet Céleste installés sur de petits plateaux évoluent sur scène, des draperies permettent de jouer avec l’espace. Le sol s’ouvre pour laisser place à un grand miroir. Des voiles sont disposés tels des filtres plus ou moins opaques entre le spectateur et la scène, comme un point de passage entre le monde réel et féerique. Les lumières judicieusement pensées viennent rompre l’obscurité (clair-obscur) et contribuent à l’atmosphère propre à chaque chant.
Damien Guillon chante tout en retenue avec sincérité et émotion. Les textes sont bien déclamés, la compréhension est parfaite, la ligne mélodique est souple, naturelle grâce à un legato très soigné, un soutien affirmé, des nuances subtiles et une grande homogénéité. Sa connaissance du répertoire anglais lui permet de différencier Purcell (timbre chatoyant, graves plus appuyés en voix de poitrine) de Dowland (couleurs plus sombres). Il se révèle un acteur au jeu de scène investi, notamment lorsqu’il découvre son double (mime et jeu en miroir en adéquation).
Pour l’accompagner, trois musiciens de son ensemble Le Banquet Céleste (Isabelle Saint-Yves à la viole de gambe, André Henrich au luth et Kevin Manent-Navratil au clavecin), très à l’écoute, d’une grande musicalité, installent le climat de chaque pièce et sont toujours en osmose avec le chanteur. Enfin, le danseur-acrobate (qui se fond avec le chanteur, même physiquement !) fait preuve d’une grande dextérité dans l’expression de son art avec beaucoup de sensibilité et aussi à l’écoute des autres.
Bref sursaut de vie, Music for a while (la musique un moment trompera tous vos tourments) mène vers la rencontre avec la mort, O Solitude dans un paysage glacial et neigeux. Le voile retombe, le chanteur redevenu spectateur regagne sa place dans un silence étourdissant. Comme une possible allusion à la situation actuelle : notre vie d’avant ne serait qu’un songe, où la mort rôde désormais en nous rappelant la fragilité humaine. Comme un rêve aussi de redonner vie au théâtre.