Éclat d'énergie contre installation traditionnelle : Fidelio à Vienne
A l'antipode de la très moderne mise en scène signée Jürgen Flimm qui fêtera en décembre (de cette année Beethoven) ses 20 ans au Metropolitan Opera House de New York, le Staatsoper de Vienne conserve la mise en scène d’Otto Schenk qui a été créée dans les années 1970 (version de 2017 récemment retransmise sur le site de l'opéra, d'un metteur en scène très présent dans la maison et qui signera encore la saison prochain Le Chevalier à la rose, La Chauve-souris et L'Elixir d'amour), comme pour prouver que l’opéra unique -dans tous les sens du terme- de Beethoven ne perdra rien de son éclat dans une installation traditionnelle : idéal pour une découverte de l’œuvre, malgré le minimalisme de la direction des acteurs. L’ensemble scénique plaît aux yeux, certes, mais autant qu'il ôte à l'énergie du drame.
Ce manque d’énergie de l’installation scénique est comblé par la direction musicale de Cornelius Meister. À la fois élégante et énergique, la masse sonore démontre une unité solide qui se fait surtout ressentir pendant les passages lyriques. La régularité et la netteté sonores sont de temps en temps nuancées par une mise en relief des vents, notamment les hautbois et les cors, pendant les passages les plus vifs. En somme, l’orchestre maison maintient avec succès l’équilibre entre l’éclat et l’efficacité. La célèbre ouverture « Léonore 3 » (3ème version) en est une solide démonstration. Le Chœur du Staatsoper de Vienne fournit également un appui valable pour les solistes et se fait remarquer par une ferme unité pendant les passages lyriques et marquetés.
Peter Seiffert, dans le rôle de Florestan, n’est pas au meilleur de sa forme. Son timbre cristallin est infaillible et s’impose bien sur son chant, mais la stabilité de la voix manque, notamment pour un chanteur habitué à Tristan, Siegmund et Parsifal. Camilla Nylund est une Léonore passionnante et combattive. Elle expose sans hésitation toute l’étendue de son timbre riche et brillant. Le célèbre récitatif « Abscheulicher! » (horreur) démontre la grande étendue dans la portée dramatique de son chant et la capacité d’exécuter les notes hautes avec clarté et précision. Elle travaille également un jeu d’actrice qui capte l’esprit androgyne de Léonore.
Günther Groissböck impressionne dans le rôle de Rocco. À première vue, son apparence semble trop imposante pour le rôle, mais il fait vite comprendre la justesse de son placement. Concevant un Rocco robuste et charismatique, il sort des attentes conventionnelles du rôle grâce à son timbre dense et plein de gravité, sa diction impeccable, et son jeu d’acteur qui s’adapte à la robustesse de son chant. La sobriété de son timbre est également mise en valeur par le biais du contraste avec l’aspect perçant du timbre de Camilla Nylund pendant les duos, notamment dans « Nur hurtig fort » (sois prompt).
Albert Dohmen s’assure que son jeu d’acteur capte la cruauté de Don Pizarro. Son timbre est aussi solide que Günther Groissböck, mais avec plus de rugosité, ce qui rend leurs échanges particulièrement intéressants et intenses, notamment leur duo « Jetzt, Alter, jetzt hat es Eile! » (Ancien, il faut nous dépêcher). Quoiqu’Albert Dohmen se montre parfois effacé pendant les trios, il met néanmoins beaucoup de gravité dans ses parties solistes. La célèbre aria « Ha, welch ein Augenblick! » (Ah ! Quel moment) est exécutée dans l’équilibre entre la solennité et la pesanteur, affirmant la noirceur du personnage.
Chen Reiss incarne une Marzelline charmante, à la fois par son jeu théâtral, la clarté de son timbre et sa diction. Son chant se complémente avec celui de Camilla Nylund pendant le duo "Mir ist so wunderbar" (C'est pour moi magnifique). Jörg Schneider livre un Jaquino de convention, mais non pas sans intérêt puisque cela lui permet de démontrer son laisser-aller vocal à travers le comique du personnage. Enfin, le charismatique Don Fernando de Boaz Daniel conclut le drame par son timbre rond et chaleureux.