Les Métaboles cultivent le Jardin féerique
La dimension clichée de la couverture d'album passe assurément mieux en cette période de confinement, qui invite autant que possible au sourire. L'image représentant Léo Warynski en nœud papillon blanc, écartant un buisson fleuri pour une femme (non nommée) en robe de velours bleu, nous rappelle au moins le bonheur candide déjà trop lointain de batifoler dans les sous-bois... d'autant que cette image nous remémore le concert des Métaboles dans les Jardins de Royaumont (compte-rendu et interview) où fut prise cette photo.
D'autant, surtout, que l'écoute nous invite à parcourir 16 morceaux mettant à l'honneur la nature : les jardins et les voix en harmonie, aussi riches et bien taillés les uns que les autres. Cet album est un hymne aux plaisirs musicaux d'un déjeuner vocal sur l'herbe pour attendre le déconfinement avec autant de plaisir d'écoute que d'impatience. Il est aussi un hymne à l'amitié artistique franco-britannique (un Brexin bien nécessaire, musicalement entre autres). Le disque est en effet en deux parties, de chaque côté de la Manche (de l'Atlantique même), avec Saint-Saëns/Ravel puis Britten/Murray Schafer et toujours la thématique du jardin : féeriques oiseaux dans une vallée de cloche avec Ravel, romance pour fleurs et arbres dans le calme des nuits avec Saint-Saëns, 5 Flower Songs de Britten et Moments of Water chez Murray Schafer.
Les Métaboles chantent cet album et cultivent ce répertoire en jardiniers, débroussaillant des basses touffues, taillant des haies d'harmonies impeccables, arrosant délicatement les fleurs de leurs harmoniques. La nature de tous ces jardins est par-dessus tout rendue grâce à la qualité de la prosodie, qui cultive chaque mot et chaque phrase, intelligible du murmure aux éclats, du brin d'herbe au chêne lyrique.
Ces interprètes ont la voix verte comme la main, avec une tendre fraîcheur vocale, ils sont un chœur chambriste de solistes mais certes pas des solistes réunis en chœur. Chaque interprète et même chaque pupitre sait offrir l'équilibre de ses caractéristiques vocales propres et de son articulation au service du tutti (ce qui est notable dès les crescendi de la première piste), mais les interventions solistes ne sont pas aussi florissantes. Les voix aiguës notamment (soprano, ténor) glissent et se contrissent en montant, les voix intermédiaires se voûtent (donnant certes l'impression de passer sous une arche de haie, mais restant au milieu du gué entre harmonie et mélodie), les graves buttant en fausses basses.
Mais toutes les roses ont des épines, et nul ne fera comme Le Petit Prince, dans son propre jardin féerique, au sujet de sa rose, elle qui "embaumait ma planète, mais je ne savais pas m'en réjouir. Cette histoire de griffes, qui m'avait tellement agacé, eût dû m'attendrir..." Un attendrissement, notamment apaisé avec Saint-Saëns dans la Romance du soir et le Calme des nuits. Attendrissement candide et bouleversant grâce à Ravel (ici auteur et compositeur) : entre Le pré de Nicolette et la Ronde du bois d'Ormonde, chantent les Trois beaux oiseaux du Paradis nous rappelant le pouvoir de l'art en temps de (véritable) guerre :
"Oiseau vermeil du Paradis, Que portez vous ainsi ? Un joli cœur tout cramoisi (Ton ami z-il est à la guerre) Ha ! je sens mon cœur qui froidit… Emportez le aussi."
Les Métaboles continuent de cultiver leur jardin, si de prochains concerts de sortie d'album ont bien évidemment dû être annulés, une date supplémentaire est confirmée le vendredi 29 mai, Salle des Catherinettes à Colmar. Rappelant que cet ensemble sème de nombreuses graines musicales pour les générations à venir, ce concert invitera des collégiens du collège Victor Hugo de Colmar pour Miniwanka de Murray Schafer (ultime piste de ce disque).