Angela Gheorghiu : Eternamente – l'album vériste
Il y a quelques mois, c'était une autre soprano superstar qui publiait un disque Verismo.
Angela Gheorghiu publie ici son premier album studio depuis six années, un délai d'autant plus long que l'opus vient s'ajouter à son foisonnant catalogue discographique : sa page web officielle consacrée aux disques présente pas moins de 89 jaquettes, sans parler des DVD. En cette année 2017, l'artiste avait déjà publié un coffret de récitals sur 7 CD et sa parution précédente, Autograph (2015) regroupait pas moins de 8 CD + 1 DVD.
L'implication et la dévotion d'Angela Gheorghiu sont absolues sur cet album qu'elle interprète tremblante, notamment dans la chanson qui donne son titre et son centre de gravité au programme : "Eternamente". Cette chanson est signée du lombard Angelo Mascheroni (1855-1905), qu'elle contribue à faire redécouvrir, tout comme Stefano Donaudy (1879-1925) et Licinio Refice (1883-1954). Dans le même esprit, lorsqu'elle puise dans le catalogue de Puccini, c'est pour défendre la moins célèbre Rondine (avec l'air “Parigi”), et même lorsqu'elle choisit une Bohème, ce n'est pas celle de Puccini mais de Leoncavallo avec "Ed Ora Conoscetela". De même, elle ne choisit pas Pagliacci de Leoncavallo mais Gli Zingari, avec "La canzone di Fleana". Un chef-d'œuvre du maître, parmi les plus célèbres du répertoire est toutefois au rendez-vous : “Vissi d’arte”, la grande aria de la Tosca (Puccini) par un timbre de grande diva.
Le parcours vériste permet d'apprécier Cavalleria Rusticana de Pietro Mascagni en ouverture : "Regina coeli" (immédiatement ample et intense), "Voi lo sapete, o mamma" (l'amplitude s'alanguissant) et "Tu qui, Santuzza", sur lequel elle dialogue avec le ténor Joseph Calleja, comme pour refermer l'album avec "Vicino a te s'acqueta" d'Andrea Chénier, la terrible et sublime aria qui clôt le chef-d'œuvre par la mort des deux amants, guillotinés ensemble sous la révolution française. La voix masculine tendue et serrée répond à l'ample crépuscule féminin appuyant les variations mélodiques. Le ténor puissant accompagne main dans la main, voix dans la voix les aigus des montées dramatiques.
L'intensité de la chanteuse remplit son office dans les œuvres véristes, ce drame réaliste italien déployé ici par une condensation de jeu et de parole. Elle ne déploie pas des lignes musicales mais enchaîne des accents, tempi, nuances et effets : voix détimbrée, soulevée, projetée, gutturale, assombrie, tubée, inspirations sonores, vibrements.
L'intensité sied au drame absolu dans lequel plonge l'album avec les cris enténébrés, chantés ou non de "Suicidio" (La Gioconda d'Amilcare Ponchielli), mais le ton peut brusquement changer en deux pistes, avec la douceur de Siberia (Umberto Giordano) "No! se un pensier torture" puis la légèreté rebondissante de La bohème, qui mène à l'éclat de rire des Zingari (Tsiganes) avec ses saltarelles doublées de percussions languissantes, puis bercées de souples cordes.
L’Orchestre Philharmonique de Prague dirigé par Emmanuel Villaume soutient la diva par un son ample et rond, à la fois distant par la largeur et présent par la projection orientée, ponctué d'accents savamment choisis et placés.
La saison 2017/218 de la soprano roumaine glamour est également riche en récitals. Elle a débuté par un hommage à Luciano Pavarotti pour le 10ème anniversaire de sa mort (le 6 septembre dernier aux Arènes de Vérone), puis Bucarest, Athènes, au Danemark, en Corée du Sud, à Vienne, Hambourg, Berlin, Madrid mais également à Paris (réservez dès à présent vos places pour l'admirer au Palais Garnier, le 17 Juin 2018).
Côté scène, elle incarnera Adriana Lecouvreur à Palerme, La Bohème à Berlin, Tosca à Vienne, Londres et Hambourg.