Opéra de Paris : salles et budgets en chantier
Ôlyrix s'est longuement entretenu avec le nouveau Directeur Général de l'Opéra de Paris Alexander Neef et le Directeur Général adjoint qui assurait la transition (voire l'intérim) depuis janvier, Martin Ajdari nous répond également sur les budgets de la maison.
Le déficit prévisionnel pour l’année 2020 est de fait estimé par l'Opéra de Paris à 50 Millions d'euros (auxquels s’ajoutent donc les déficits liés aux grèves de décembre 2019).
Les pertes de recettes en billetterie pour cette année énormément touchée par les grèves et encore infiniment plus par le Covid-19 s'élèveraient à 57 M€ (d'autant qu'elles risquent encore d'augmenter si des restrictions de jauge supplémentaires sont décidées, si un cas positif parmi des équipes entraîne l'annulation d'un spectacle et si l'Opéra de Paris commet d'autres erreurs comme le fait d'avoir déprogrammé le second cycle du Ring à Bastille pour le reprogrammer à Radio France, l'institution ne pouvant nous préciser le nombres de places ainsi perdues ni les surcoûts endurés).
Ce déficit se creuse de 13 millions d'euros supplémentaires en pertes sur les autres recettes commerciales (visites, locations d’espaces, bars d’entractes, programmes, concessions,….). Un point extrêmement inquiétant sachant que les visites des bâtiments par exemple tiennent désormais une place vitale dans l'équilibre budgétaire de cette maison devant assumer de plus en plus de ressources propres. Les bilans financiers avaient ainsi fortement souffert de la baisse du tourisme en France suite aux attentats, une baisse qui risque d'être catastrophique en période (post-)Covid restreignant les déplacements internationaux (contrairement aux Châteaux de la Loire et à Saint-Tropez, Paris et Versailles ne bénéficient pas du tourisme national).
Les pertes de mécénat sont également notables, pour le chiffrage des pertes en 2020 (-6 M€) et pour l'inquiétude pesant sur l'avenir : des entreprises et particuliers touchés par la crise risquent de devoir réduire leur engagement, d'autres échaudés par la fin désastreuse du mandat Lissner et les tensions dans la maison risquent de ne plus vouloir s'engager autant. Le nouveau Directeur Général nous confirme s'être saisi de ce dossier comme des autres (dans cet extrait de notre interview Grand Format à paraître, où il répond à toutes les questions qui se posent) : "Là encore, ce n'est pas un choix : il faut développer davantage le mécénat et nous y travaillons. Les mécènes sont très fidèles à cette maison, plutôt qu'à son directeur. Le mécénat pour les entreprises est un partenariat de marque. Nous avons aussi la chance d'avoir de nombreux mécènes individuels très attachés à cette maison, à travers le monde. Jouer cette carte sera très important pour nous. Notre avantage est d'avoir une marque très forte et qui demeure très forte même après les grèves et le Covid."
Les pertes de recettes sont toutefois atténuées par des dépenses moindres, consubstantielles au fait de ne pas jouer : si les personnels permanents ont bien été payés, les artistes ont été partiellement indemnisés et d'une manière globale, les budgets de production et masse salariale variable en raison de l’annulation des spectacles ont diminué de 22 M€. Autant d'argent qui malheureusement n'ira donc pas à des artistes qui en ont cruellement besoin, même s'ils peuvent compter sur d'autres mécanismes d'indemnisation (comme la mal-nommée "année blanche" des intermittents). Des économies ont également été réalisées sur les frais de fonctionnement des théâtres Bastille et Garnier pour environ 4 M€.
Face à ces 50 M€ de déficit, l'Opéra est très soutenu en haut lieu par la Ministre de la Culture (qui rappelait combien ce grand établissement est un vecteur d'attractivité culturelle et économique mondial). Il est très soutenu, avec l'annonce d'une enveloppe exceptionnelle de 81 M€ dans le plan de relance, à ceci près qu'il s'agit en fait de 61 M€ de relance et que cette somme ne recouvrira que les 4/5ème du déficit.
En effet, 20 M€ sur les 81 sont destinés à la Salle modulable qui avait déjà été annoncée avec son financement bien spécifique bien avant que quiconque n'entende parler d'un Coronavirus (il s'agit donc d'une somme abusivement comptée dans le plan de relance de 100 milliards).
Comme son nom l'indique, le plan de relance doit servir à la relance de l'établissement et ne doit en théorie pas combler des déficits selon le gouvernement. Pourtant seul un tiers des 61 M€ restant est alloué aux années 2021 et 2022, l'Opéra de Paris se voyant attribuer 40 M€ du plan de relance pour l'immédiat (exercice 2020). Insuffisant toutefois pour combler le déficit.
L'Opéra de Paris devra donc continuer à faire de grandes économies tout en essayant de maintenir ses recettes.
En attendant et pour ce faire, il doit déjà pouvoir rouvrir. Les dirigeants se veulent toutefois confiants sur l'avancée des travaux dont les montants paraissent dès lors raisonnables : rapportés aux dizaines de millions et aux milliards, ils ne coûtent "que" 4 M€, afin de permettre :
- Une rénovation complète du pilotage du cintre du Palais Garnier (machinerie scénique haute)
- L’évolution logicielle du pilotage du cintre de l’Opéra Bastille
- La rénovation des élévateurs scéniques (machinerie scénique basse) de l’Opéra Bastille
En espérant que les ouvriers en profitent aussi pour colmater les fuites des plafonds, et pour s'assurer que le rideau incendie de Bastille et le plateau tournant de Garnier ne fasse plus de siennes.
Lire notre grand dossier Bilan de Stéphane Lissner à la tête de l'Opéra de Paris et notre analyse des transformations envisagées par Alexander Neef. Rendez-vous très prochainement sur Ôlyrix pour d'autres articles d'analyses sur les grands sujets d'actualité à l'Opéra de Paris, ainsi que la publication in extenso de l'interview Grand Format d'Alexander Neef