Le Met contraint de rogner ou renier ses salaires
Le Metropolitan Opera House de New York est à l'image des USA : aussi rudement touché par la crise sanitaire qu'il fonctionne sur un système capitaliste avec très peu de protections sociales et d'aides du gouvernement.
L'institution lyrique de la grande pomme n'a pas pu couper la poire en deux, face à une perte aussi brutale de revenus en cette période de fermeture des théâtres (les portes y sont closes depuis le 11 mars et pour une durée encore indéterminée, [mise à jour du 2 juin 2020 : au moins jusqu'au Réveillon du Nouvel An]). Le Met a en effet arrêté de payer ses personnels artistiques à partir du mois d'avril (leur couverture santé -rattachée au contrat de travail et à la paye aux Etats-Unis- a toutefois été maintenue). Le Directeur général Peter Gelb a tout de suite donné l'exemple en renonçant à son propre salaire et en imposant des coupes aux responsables administratifs, avant de devoir en congédier 41 dans une seconde vague de départs sans solde pour durée indéterminée.
Un sacrifice et des coupes salariales qu'il est possible de mesurer en l'occurrence : l'Opéra de New York étant une entreprise à but non lucratif (la "Metropolitan Opera Association"), ses déclarations fiscales complètes sont librement consultables. La liste des salaires y est ainsi une information publique alors même que la compagnie lyrique américaine vit de fonds privés (mécénat et recettes) : l'inverse donc de la France où l'essentiel des subsides sont des deniers publics mais où il est extrêmement difficile d'avoir des informations sur les données salariales (hormis des indications générales grâce aux rapports de la Cour des Comptes*).
C'est donc sur la base d'un salaire annuel dépassant les 2 millions de dollars ($2,080,700) que le Directeur Peter Gelb tire actuellement un trait.
Le maestro Yannick Nézet-Séguin avait perçu $392,152 pour sa première année d'exercice comme Directeur Musical du Met (du 1er août au 31 décembre 2018), soit un peu plus que le chef de chant David Chan ($366,823, mais renégocié ensuite à $413,405), et donc moins que le chef de chœur Donald Palumbo ($498,993, récemment passé à $535,283) pour l'année. A comparer surtout au dernier salaire touché par son prédécesseur, James Levine ($1,543,119 pour l'année fiscale 2017). James Levine avait été suspendu en décembre 2017 suite à des accusations d'abus sexuels, le chef et l'institution se sont ensuite mutuellement dédommagés de la même somme (5,8 millions de dollars) en août 2019. Yannick Nézet-Séguin a touché précédemment $1,380,667 à l'Orchestre de Philadelphie pour la saison 2017/2018 (où il conservera son poste, tout en assumant davantage de responsabilités artistiques et administratives à New York).
Les comptes du Met confirment en outre l'importance capitale du service électricité (indispensable pour les spectacles et sensible pour la sécurité) dans un tel théâtre. Preuve en est ce sont les deux responsables électriciens (le chef et son assistant) qui perçoivent respectivement le 3ème et le 4ème salaire le plus important de la maison. Richard Wagner est le 4ème mieux payé du Met ($467,201 contre $491,623 pour son chef), cependant on comprend alors qu'il ne s'agit pas du compositeur mais de son homonyme, électricien.
Le Metropolitan Opera House a le plus grand budget de toutes les entreprises d'art vivant avec $307.5 millions de recettes contre 313,4 millions de dépenses la saison dernière, mais il était à l'équilibre selon son Directeur grâce à des investissements boursiers et des ajustements fiscaux (tels que la déduction de bénéfices non réalisés). L'imposante salle lyrique avait vu son taux de remplissage augmenter d'un point la saison dernière, pour atteindre 76% (notamment grâce aux matinées régulières du dimanche). Les annulations de cette saison (58 représentations sur 217) liées au Coronavirus entraîneront un déficit estimé à $60 millions [puis à $100 millions], mais la compagnie a reçu 19.000 dons de particuliers et son service de vidéo à la demande est passé de 15.000 à 33.000 abonnés (il coûte $14.99 par mois ou $149.99/an, rapportant donc environ 5 millions de dollars par an pour l'institution).
*Voici ce que publie la Cour des Comptes dans son dernier rapport consacré à l'Opéra de Paris (publié en 2016) :
"Les principaux cadres et artistes de l’Opéra bénéficient de rémunérations en moyenne plus élevées que dans la plupart des autres opérateurs culturels mais qui n’appellent pas d’observation majeure. Si le visa du contrôleur financier (jusqu’alors pour les contrats de travail prévoyant une rémunération annuelle brute supérieure à 70 000 €) constitue une garantie, la direction de l’établissement pourrait utilement mettre également en place une instance interne de type « comité des rémunérations » issue par exemple du comité financier qui serait saisie des conditions de rémunération (et avantages en nature éventuels) des cadres dirigeants. La direction de l’établissement et le ministère y semblent favorables.
La rémunération des directeurs, des directeurs délégués et du directeur musical La rémunération des trois directeurs pendant la période sous revue a été fixée par des lettres des ministres chargés de la culture et du budget. Son montant est certes très supérieur à celui observé à la présidence exécutive ou la direction des grands établissements culturels, mais il convient d’observer que les directeurs successifs de l’Opéra de Paris n’ont pas le statut de fonctionnaire, comme la plupart de dirigeants de ces derniers, que trois d’entre eux (MM. Gall, Mortier et Lissner) venaient d’institutions étrangères et que l’État doit tenir compte dans le choix des directeurs des niveaux de rémunération en vigueur au plan international, l’Opéra de Paris étant en concurrence avec Milan, Londres, Vienne, Munich, Berlin ou New-York. Les modalités de détermination de cette rémunération ont quelque peu évolué à partir du mandat de M. Joel avec l’introduction d’une part variable, conformément à ce qui est couramment appliqué dans les organismes opérateurs de l’État.