OperaVision et le World Opera Day, qu'est-ce que c'est ?
Luke O’Shaughnessy, vous êtes le Responsable du projet OperaVision. Quelles sont les origines de cette plateforme ?
OperaVision est un projet non-commercial porté par Opera Europa, un réseau de plus de 200 opéras et festivals de l’Europe élargie. Nous avons toujours eu la volonté d’aller au-delà des rencontres et échanges habituels pour ce type d’association, et de promouvoir de manière très concrète les productions de nos adhérents. OperaVision trouve son origine dans un premier projet soutenu par Europe Créative, un programme de l’Union européenne. Avec Arte et 15 de nos membres, nous avions monté une plateforme gratuite de diffusion. Au bout des trois ans du programme, nous avions l’ambition d’élargir le projet, et OperaVision est né. Europe Créative nous a octroyé de nouveaux subsides jusqu'à début 2021. Nous réunissons cette fois près de 30 compagnies d’opéra, diffusant régulièrement des productions, en direct ou à la demande, toujours gratuitement.
Qu’adviendra-t-il ensuite de la plateforme ?
Nous sommes déjà en discussion pour renouveler le projet.
Comment êtes-vous parvenu à fédérer un nombre aussi important d’opéras autour de ce projet ?
Les opéras y trouvent clairement un bénéfice : ils ont un outil de promotion de leurs productions qui va bien au-delà de ce qu’ils peuvent faire sur leur propre site, et ont accès à une large audience. En deux ans, depuis notre lancement en octobre 2017, OperaVision est fier de compter plus de 5 millions de vues. Ce qui est intéressant, c’est que bien que la plateforme ne soit traduite qu’en trois langues, elle est consultée dans l’Europe entière. Il y a même par exemple une audience plus large en Finlande que ce que la taille du pays pourrait laisser envisager. Mieux, depuis que nous utilisons le lecteur Youtube, nous avons vu exploser le volume de consultations de nos vidéos depuis le reste du monde : les utilisateurs hors Europe correspondent aujourd’hui à 10 à 20% de notre audience. Nous avons réussi à ce qu’OperaVision ne soit pas identifié comme étant rattachée à un pays en particulier. Nos partenaires bénéficient ainsi d’un rayonnement international.
Quel est le rôle des opéras partenaires dans le fonctionnement d’OperaVision ?
Les opéras partenaires proposent des productions qu’ils souhaitent diffuser sur la plateforme. C’est un choix important pour eux car ces diffusions ne génèrent aucune recette, ni pour eux, ni pour nous. Le comité éditorial d’OperaVision choisit alors l’œuvre la plus appropriée pour compléter la saison. Mais il faut noter que les marges de manœuvre d’institutions comme le Royal Opera House, qui a une activité commerciale de diffusion dans les cinémas ou sur d’autres supports, sont faibles. Cela ne nous a jusqu'ici pas posé de problème majeur : nous trouvons toujours une solution pour présenter une belle saison à nos publics. Cette saison, nous avons certes deux productions de Don Giovanni, mais elles sont si différentes que cela n’est pas grave. Beaucoup d’opéras proposent des œuvres rares, la programmation est donc globalement très diverse.
Vous proposez en effet beaucoup d’œuvres rarement jouées : pourquoi les opéras choisissent-ils ces œuvres ?
Nous encourageons nos partenaires à nous proposer des œuvres typiques de leur travail, représentant la personnalité de leur maison. Ce ne serait pas intéressant de ne proposer que les classiques. Et certaines maisons y voient aussi une mission. Par exemple, lorsque l’Opéra national de Varsovie a choisi de diffuser le Manru de Paderewski au début de cette année, ce fut l’occasion de faire découvrir une pièce maîtresse du répertoire polonais au-delà des frontières du pays, mais aussi de permettre aux Polonais qui ne fréquentent pas l’opéra de découvrir leur propre patrimoine musical.
Qui porte le coût financier de ces captations ?
Le poids est sur les épaules des institutions, même si nous les aidons à construire le montage financier, et contribuons grâce au soutien des fonds européens. Dans certains pays comme l’Espagne, les chaînes de télévision sont ravies de voir leurs captations diffusées sur OperaVision. Certains producteurs indépendants proposent aujourd’hui des coûts très raisonnables, grâce à une grande expérience et beaucoup de qualité et de sensibilité. Ils réalisent les captations avec du matériel plus simple et plus léger qu’avant : il n’y a plus nécessairement de gros camions de transmission derrière l’opéra. C’est ainsi à chacun de nos opéras partenaires de trouver la bonne solution.
Parmi les opéras proposés actuellement sur la plateforme, aucun n’a été capté en France : à quoi cela est-il dû ?
Nous avons trois partenaires en France : l’Opéra Comique, l’Opéra de Lille et le Festival d’Aix. En effet, nous avons cependant pour l’instant du mal à trouver la bonne solution de financement avec ces opéras. En France, le CNC accorde des aides très substantielles, mais qui sont subordonnées à la participation d’un diffuseur français. Or, ces diffuseurs n’appréciaient jusqu’ici pas que les captations soient proposées sur une plateforme qui ne leur apporte aucun retour sur investissement. Si un opéra voulait diffuser une production sur notre site, il devrait exiger des droits pour OperaVision auprès des partenaires de diffusion et visiblement ceci est compliqué en France. Nous avons toutefois de très bonnes relations avec nos partenaires français et nous continuons à rechercher des solutions avec eux.
Il y a en revanche des productions de l’Opéra de Beijing (Chine) et de celui de Mumbay (Inde) : est-ce ce que vous appeliez l’Europe élargie ?
Cela nous permet de montrer qu’il y a de belles productions à voir au-delà de nos frontières. De fait, tout d’abord, un certain nombre d’institutions en dehors de l’Europe, qui ne sont pas représentées naturellement par un autre réseau, sont très curieuses et demandeuses d’échanges avec nos adhérents. Certaines, comme l’Opéra de Mascate, le Nouveau Théâtre national de Tokyo ou encore l’Opéra ballet de Perm sont même devenues membres adhérents d’Opera Europa.
Nous avons par ailleurs organisé au Teatro Real de Madrid il y a deux ans un forum international auquel étaient présents deux autres réseaux : OPERA America et ÓperaLatinoamérica. De cette rencontre est née l’initiative World Opera Day, qui prend la suite des Journées européennes de l’opéra. C’est dans le cadre de cette opération que nous diffusons les productions des opéras de Beijing et de Mumbay. L’objectif de cet événement est de célébrer l’opéra à une échelle plus grande encore et de fédérer autant de théâtres que possible pour montrer combien l’opéra a un rôle important. Rendez-vous le 25 octobre !
Comment allez-vous montrer cela ?
Nous encourageons les théâtres à réaliser des actions qui montrent cet esprit d’ouverture. Si tous les membres ne participeront pas à cette première édition, il y aura en tout cas de beaux exemples. Ainsi, l’Opéra national d’Irlande va proposer un jukebox sur ses réseaux sociaux : les internautes pourront choisir des airs qui seront interprétés par les artistes de l’opéra en direct. C’est une manière d’inclure le public dans l’opéra.
Comment jugerez-vous du succès de cette opération ?
Pour cette première édition, nous regarderons surtout la nature des initiatives proposées, par les compagnies d’opéra mais aussi par d’autres groupes souhaitant se joindre au mouvement. Notre souhait est que le World Opera Day soit un moyen de montrer ce que l’opéra peut apporter à chacun. Cela devrait marquer les esprits de tout le monde.
Comment cela se traduira sur OperaVision ?
Le World Opera Day aura lieu le 25 octobre, date anniversaire de Bizet et Strauss. À cette occasion, nous diffuserons donc des captations de La Chauve-souris (une production de l’Opéra de Vienne) et de Carmen (une très belle mise en espace de l’Opéra de Beijing). Ce ne sera pas en direct, mais ça n’enlève rien à la valeur de ces propositions.
Au-delà, quels seront les événements marquants de votre programmation au cours de ces prochaines semaines ?
D’habitude, nous proposons quatre opéras par mois, mais nous en aurons six en octobre (dont trois en direct), grâce au World Opera Day, qui montreront toute la diversité de nos diffusions. Le 13 octobre, nous proposerons The Bassarids de Henze en direct de l’Opéra Comique de Berlin, le soir même de la création de la production de Barrie Kosky. Je suis également très content et fier de présenter le 19 octobre Der Ferne Klang de Schreker, compositeur principalement connu pour Les Stigmatisés. Nous aurons aussi le 26 une production de Don Giovanni dirigée par Jérémie Rhorer et mise en scène par Graham Vick, très moderne et très forte. Lors des directs, les internautes à travers le monde ont la possibilité d’échanger avec nos équipes par chat : contrairement aux opéras, nous n’avons pas de contact direct avec nos spectateurs, nous apprécions donc particulièrement ces moments d’échange.