L'Arcangelo et Méphisto, la Speranza et Verdi en récital à Liège
Les deux parties du programme sont symétriques, chacune construite avec un épisode orchestral central offrant au chanteur un repos bienvenu : entre l'enchaînement Fiesco-Banco et Filippo-Attila puis entre Méfistofele et Méphistophélès. Souffrant, l'artiste a tenu à assurer le concert et le Directeur des lieux qui l'annonce, Stefano Mazzonis di Pralafera, demande des encouragements bienveillants. Le public les offre bien volontiers, d'autant que le soliste ne semble pas en avoir besoin vocalement, mais qu'il en a assurément envie ! L'Arcangelo, écartant les bras et ouvrant les mains pour son entrée sur scène, semble s'excuser par avance de ne pas offrir une prestation du niveau qu'il aurait souhaité. Pourtant, la voix se pose d'emblée sur les puissants cuivres et percussions, l'Orchestre n'ayant pas besoin de retenir ses coups (d'archets), pas davantage que ses grands crescendi de cordes. Via l'attention absolue de la cheffe envers le chanteur, les instrumentistes (placés derrière le soliste, comme de tradition pour un récital) soutiennent la voix dans ses forces et transforment ses faiblesses en douceurs.
"Sa voix est comme du miel, un baume pour l'âme" déclare la cheffe d'orchestre au sujet de son très cher ami, comme un frère qu'elle a aidé à préparer dans ses rôles et prises de rôle depuis 15 ans. Mais pour leur premier récital ensemble, le baume, le miel, c'est elle qui l'apporte, qui l'applique -par sa phalange orchestrale- sur sa voix à lui, pour en retrouver les couleurs, pour en redorer le blason. Ce timbre "toujours vivant, qu'on encense sa puissance" pour paraphraser l'air de Méphistophélès dans le Faust de Gounod qu'il chante en seconde partie, après le Mefistofele de Boito et avant le diabolique libertin Don Giovanni.
Certes, la gêne se fait d'abord sentir sur des aigus tirés, mais le chanteur sait intelligemment et puissamment les accentuer en fins de phrases, en les rendant couverts (comme il l'est de bravi par le public). S'il doit sacrifier le volume de ses plus puissantes interventions, il n'est pas recouvert pour autant. Le souffle ne perd pas son immense longueur et lui permet de ménager des dolce emplis de chaleur, aux très longs phrasés. Les mains qui étaient ouvertes par demande de mansuétude se joignent en prière tout en empoignant les revers de sa veste : à la fois pieux et prêt à se pousser du col pour passer des figures paternelles chez Verdi à celles du diable incarné. Le récital est aussi l'occasion pour Ildebrando d'Arcangelo de retrouver des rôles qu'il a incarnés sur ces mêmes planches : la Marche hongroise donne au récital des airs de Gala festif mais rappelle aussi le Méphistophèles de Berlioz qu'il campait ici dans La Damnation de Faust en 2017, et il chante celui de Gounod qu'il y incarnait en janvier dernier. Son interprétation de Filippo II en italien, annonce pour sa part le Philippe II (même rôle mais en français) qu'il tiendra dans Don Carlos en janvier prochain.
Dans son accompagnement maternel et sororal du chanteur, la Directrice musicale déploie un travail aussi fouillé dans le détail que pour les morceaux purement orchestraux : confirmant que ce récital a été préparé et répété aussi minutieusement que la Butterfly dans laquelle Speranza Scappucci vient de triompher sur ces mêmes planches. La connaissance précise de son orchestre montre jusqu'à quel volume la timbale peut descendre et les cuivres monter pour rester audibles et d'un son plein. La baguette est toujours aussi précise que souple, sur le temps et dynamique, énergique et élégante.
La soirée ravit immédiatement et durablement l'assistance, qui acclame et rappelle les artistes tout au long du concert. Le chanteur, s'éclipsant entre chaque morceau pour se remettre de ses émotions et de sa légère fatigue, est d'autant plus chaleureusement réclamé : le public est friand de son amplitude vocale en italien, comme des sons français bien accentués, surtout sur les rires diaboliques. Homme de scène, il multiplie les sourires et grimaces et même les sifflets, à-propos pour ses personnages, faisant de diaboliques signes de croix pour conjurer tous les diables de lui prêter voix : le succès est ainsi assuré, quand l'archange -même s'il semblait déchu- suit l'espérance.